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[CRITIQUE] Black Mirror - Saison 7 : Une épave de notre temps

  • Photo du rédacteur: Le cinéma d'Hugo
    Le cinéma d'Hugo
  • 19 avr.
  • 5 min de lecture

Création : Charlie Brooker

Réalisation : 

Acteurs Principaux : Awkwafina, Peter Capaldi, Emma Corrin, Patsy Ferran 

Diffusion : 10 avril 2025

Nombre de saison : 7

Nombre d'épisodes : 6

Genre : Science-Fiction

Société de production Ally Pankiw, Haolu Wang, David Slade, Toby Haynes, Chris Barrett et Luke Taylor

Plateforme : Netflix


Depuis 2014, la science-fiction a changé de visage. Elle a troqué ses promesses d’ailleurs contre les éclats froids d’un présent saturé de cauchemars déjà vécus. Plus nihiliste, plus désenchantée, plus crépusculaire, elle semble désormais parler moins du futur que de notre vertige contemporain. Le 1er mai 2014, Black Mirror inaugurait sa première saison, posant les jalons d’un imaginaire technocritique devenu emblématique de notre temps. Depuis, la série a étendu son empire, gagnant en moyens de production ce qu’elle a peut-être perdu en acuité, jusqu’à cette septième saison fraîchement parue sur Netflix. Mais aujourd’hui, que reste-t-il de la terreur glacée que suscitait autrefois Black Mirror ? Attendons-nous encore quelque chose de cette série ? Peut-elle encore inquiéter, troubler, déranger, à l’heure où les dystopies qu’elle mettait en scène semblent avoir glissé hors de l’écran pour s’implanter dans la trame même du réel ?


À première vue, cette nouvelle saison pourrait apparaître comme celle de trop, celle où la mécanique s’essouffle, non par manque d’inspiration, mais parce que son geste serait désormais caduc. Ce n’est pas la première œuvre à être rattrapée — voire dépassée — par la réalité : Mickey 17, le dernier film de Bong Joon-ho, en témoignait déjà. Le cinéaste coréen, conscient du brouillage des repères temporels, s’efforçait d’ancrer son récit dans un futur proche, grotesquement peuplé de figures satiriques à peine masquées — des doubles à peine travestis de Trump et consorts — qui n’ont pourtant plus rien d’anticipatif. Le constat est sévère, mais lucide : Black Mirror semble avoir perdu son horizon. Le futur, autrefois matière première de la fiction spéculative, n’est plus que ruine ou impasse. Pour ses scénaristes eux-mêmes, il devient inimaginable. Ne reste alors que le présent, avec ses ridicules, ses terreurs et ses impasses, à caricaturer jusqu’à l’absurde. La dystopie n’a plus besoin d’être prophétisée — elle est déjà là, tapie dans le quotidien, banale comme une interface, familière comme une notification.


"Ready Player Two"


Le premier épisode de cette nouvelle saison suffit à sceller le diagnostic : Des gens ordinaires. Un titre sans éclat, mais d’une lucidité redoutable. Car qui mieux que les gens ordinaires incarne notre époque ? Ces figures floues, noyées dans le tumulte médiatique, exposées à la publicité comme à une pluie acide, piégées dans un quotidien où les banques américaines spéculent sur la santé comme on parie à Wall Street, et où certains — pour grappiller quelques dollars — s’abandonnent à des livestreams évoquant Twitch, dans ce qu’il a de plus abrutissant, de plus vulgairement spectaculaire, parfois même de plus violent. Triste ironie : ce que Black Mirror mettait autrefois en scène comme une anticipation glaçante relève aujourd’hui d’un réalisme sans détour. La série n’extrapole plus : elle illustre. Le futur a déserté la fiction, remplacé par une sorte de présent hypertrophié, à peine déformé, rendu plus visible plutôt que transfiguré. L’épisode le plus soporifique de cette saison, Bête Noire, s’inscrit dans cette même lignée atone. Il réactive une formule désormais familière : une plongée dans les entrailles d’une startup technologique, ici une entreprise agroalimentaire — nouveau totem des dérives capitalistes.


Le propos se voudrait mordant, mais la satire est émoussée. Elle semble se contenter de ressasser des figures trop usées pour inquiéter : l’employée corvéable, remplaçable à merci, empêchée de toute progression malgré ses efforts — archétype du néo-libéralisme tardif que la série avait déjà évoqué, et qu’elle ressasse aujourd’hui sans vigueur. Ce motif traverse également USS Callister: Infinity, dernier épisode de la saison, suite tardive d’un épisode de la saison 5. Là encore, on retrouve ce même horizon bouché, cette même angoisse figée : celle d’un monde clos, technologique, ludique en apparence, mais qui ne propose plus d’échappée, seulement des boucles de répétition. Ce que Black Mirror nous donne à voir, désormais, n’est plus un miroir du futur, mais une surface polie où se reflète notre présent le plus banal, le plus résigné — un présent où l’horreur ne vient plus du progrès, mais de sa stagnation.


"Quel naufrage"


Dès lors, cette septième saison prend des allures de panne sèche. Ce qui relevait jadis de l’éclair, de la fulgurance critique, s’épuise désormais dans une sorte d’asphyxie lente. Black Mirror semble ensevelie sous le béton compact du présent, incapable de retrouver l’élan spéculatif qui l’animait. Elle n’avance plus : elle patauge, s’enlise, s’oublie. La série, peut-être lucide sur l’obsolescence de son dispositif, aurait pu choisir de se radicaliser autrement. À défaut de pouvoir encore raconter le futur, elle aurait pu nous enfoncer la tête dans notre propre plat — nous forcer à contempler l’absurde, la violence ou la déréliction du présent. Elle aurait pu transformer son nihilisme originel en une urgence sensorielle, une secousse brutale. Après tout, elle nous avait prévenus : désormais, nous y sommes. Nous marchons dans les décombres qu’elle annonçait. Mais non. Ce qui aurait pu devenir un cri d’alarme se dissout dans la farce. L’illustration du réel vire à la parodie, le commentaire à la grimace. Des gens ordinaires, en cela, représente une césure.


Jamais la série n’avait osé un humour aussi désespérément cynique. Un rire jaune, acide, comme une toux nerveuse devant l’effondrement. C’est peut-être l’épisode qui, paradoxalement, cherche le plus à déranger, là où d’autres, avec une régularité presque méthodique, évitent soigneusement toute allusion à des issues collectives. Il y aurait là comme une forme de démobilisation douce, une injonction à l’impuissance. Le constat est d’autant plus amer que la série n’a sans doute jamais été aussi politiquement désincarnée. À force de fuir le politique, elle finit par fuir l’humain. Reste la technologie, ces gadgets devenus sa signature, ses béquilles : sans eux, on ne reconnaîtrait même plus le squelette de Black Mirror. Car entre Eulogie, Plaything et Hotel Rêverie, jamais la série ne s’est autant détournée de toute véritable satire sociale. L’humain n’est plus qu’un prétexte, à peine esquissé, souvent moqué. Plaything se contente de railler une culture geek postmoderne — entre Sims et Tamagotchi — sans jamais en questionner les affects ni les racines culturelles. Quant à Hotel Rêverie, il se replie sur une leçon de cinéma classique, aussi creuse qu’élitiste, comme si la série voulait flatter le regard du cinéphile plutôt que l’inquiéter. Triste bilan : Black Mirror ne réfléchit plus le monde, elle le survole. Elle n’est plus qu’une épave échouée sur les rivages du contemporain, souvenir d’un naufrage que nous vivons encore.


"Nous à la fin de la saison"


Note du rédacteur : 2.5 sur 5

 

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