[CRITIQUE] ACCIDENT DOMESTIQUE – Quand l’humour noir se casse la gueule… sur une table en verre.
- Le cinéma d'Hugo
- 14 mai
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 1 jour

Réalisation : Caye Casas
Scénario : Cristina Borobia et Caye Casas
Photographie : Alberto Morago
Montage : Caye Casas
Musique : Esther Méndez
Acteurs Principaux : David Pareja, Estefanía de los Santos et Josep María Riera
Sortie : 1mai 2025
Durée : 1h31
Genre : Comédie Horrifique
Société de distribution : ESC Films
Les festivals de films fantastiques ont pour tradition d’inviter leur public à découvrir des cinématographies souvent marginalisées dans le paysage du cinéma de genre, en constante expansion. En 2023, le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (FEFFS) a ainsi récompensé La Mesita del Comedor (Accident domestique en version française) du prix de la compétition « Cross-over ». Deux ans après cette distinction, le film espagnol réalisé par Caye Casas a finalement bénéficié d’une sortie en salles au mois de mai. Portée par un budget sans doute limité, cette comédie noire et sans concessions se distingue par ses excès, mais s’impose néanmoins comme l’une des œuvres les plus détestables que La Septième Illusion ait eu à chroniquer.
Table bancale, film pareil.
L’intrigue s’ouvre sur une accroche saisissante : Jésus, un père peu enthousiaste à l’idée de l’être, cause accidentellement la mort de son nourrisson en le faisant tomber sur une table en verre mal montée. Seul dans son appartement, il tente désespérément de trouver une stratégie pour cacher à sa femme la disparition de leur enfant. On pourrait s’attendre à ce que Caye Casas s’inspire d’un Hitchcock, jouant sur un suspense macabre ponctué de détails visuels provocateurs – comme une tête de nourrisson coincée sous un fauteuil – et d’un humour grotesque. Cependant, la radicalité de l’intention du réalisateur interpelle dès les premiers instants. En plaçant l’enfant au centre de l’horreur pour susciter le rire, le film se distingue par une approche audacieusement transgressive. Pour autant, l’objectif initial de Casas ne semble pas tant d’explorer le côté gore de l’« accident domestique », mais plutôt de construire une intrigue capable de maintenir sur une heure et demie la tension autour d’un secret quasi impossible à garder. Or, cette tension peine rapidement à s’installer. La seule interrogation de la mère sur l’étrange disparition de son enfant se résume au silence suspect du babyphone – un élément narratif qui, bien qu’exploité plus tard pour une idée morbide, est rapidement abandonné. À deux, le secret semble trop bien préservé, et le suspense s’essouffle. Pour relancer l’intrigue, le cinéaste introduit alors deux nouveaux personnages dans ce huis clos : Carlos et Cristina, frère et belle-sœur de Jésus. Curieux et impatients de rencontrer le bébé, ils multiplient les demandes, plongeant Jésus dans une angoisse croissante. Que peut-il bien faire pour dissimuler l’horreur de la situation ? La réponse, absurde et maladroite, se cristallise autour d’un prétexte aussi grotesque qu’irritant : parler encore et encore de cette maudite table.

Une foutue table.
Cette table – ridicule, hideuse, à peine digne d’un catalogue de fin de série chez Ikea – devient l’épicentre névralgique d’un film qui semble s’être lui-même pris les pieds dedans. Bien sûr, c’est à cause de cette abomination en verre que survient l’accident domestique, mais c’est aussi cette table grotesque qui porte sur ses frêles plateaux la plus douloureuse des réalités du film : sa comédie, ou plutôt, l’absence totale de celle-ci. Le film, déjà mal engagé, nous offre alors une scène de dispute si laborieuse qu’elle frôle le supplice. Ce couple – une caricature grotesque qui se prend désespérément au sérieux – débat interminablement sur l’achat de cette fichue table basse. Pour elle, une escroquerie ; pour lui, une aubaine, une victoire dérisoire dans une vie conjugale où il se sent dépossédé de toute décision. Mais ces dialogues absurdes et interminables ne servent qu’à étirer péniblement une dynamique de couple qui, au lieu de faire rire, exaspère. À chaque fois que la table revient dans la conversation – ce qu’elle fait sans relâche, comme un fantôme de mauvais goût –, elle annihile le moindre soupçon de suspense que le film tente laborieusement de maintenir.

Et ce n’est pas fini. La caméra s’acharne à suivre cette table depuis son achat jusqu’à son destin tragique, un trajet aussi pénible qu’inutile. Mais le pire survient lorsque le carton qui l’abrite encore devient le prétexte d’une intrigue secondaire aussi dérangeante que gratuite : l’apparition de Ruth, une voisine de 13 ans qui décide, sans raison valable, que Jésus serait l’amant idéal. Ce twist malsain transforme le film en une farce glauque où la jeune fille, devenue maître-chanteuse, exige que Jésus avoue à sa femme qu’il veut refaire sa vie avec elle – faute de quoi elle l’accusera d’agressions sexuelles. C’est là que Accident domestique bascule dans l’obscène, le violent, le totalement gratuit. Loin de provoquer un malaise comique ou une réflexion sur les limites du grotesque, ce segment ne fait que soulever une gêne insurmontable, sans justification narrative ni pertinence humoristique. À ce stade, ni le suspense ni l’humour ne subsistent. Que reste-t-il alors de ce naufrage cinématographique ? Une table. Une foutue table. Et une colère tenace face à un film qui s’effondre avec une telle complaisance dans son propre ridicule.

Au risque de heurter la sensibilité des quelques âmes qui auraient trouvé du mérite à cet Accident Domestique, affirmons le sans détour : il y a peu de chances que le cinéma nous inflige pire en 2025. Nous avons subi – car il n’y a pas d’autre mot – le long-métrage de Caye Casas dans l’espoir naïf d’y déceler une nouvelle pépite du cinéma de genre hispanique. Ce dernier, rappelons le, ne cesse de briller année après année, notamment dans les festivals comme celui de Strasbourg. D’ailleurs, en 2024, des œuvres telles que La Plateforme 2 ou la très réussie (et cette fois réellement drôle) comédie noire Moscas d’Aritz Moreno ont confirmé tout le potentiel créatif du cinéma espagnol. Mais autant le dire franchement : Accident Domestique ne mérite pas de partager la même phrase – encore moins le même écran – que ces titres. Là où Moreno ou Galder Gaztelu-Urrutia explorent avec intelligence les subtilités du genre et ses transgressions, Caye Casas s’enlise dans une vulgarité gratuite et un mauvais goût insupportable, accouchant d’une œuvre qui ne mérite que l’oubli.
Note du rédacteur : 0,5/5
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