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[FEFFS 2025] Arco, ou la couleur de l’avenir

  • Photo du rédacteur: Hugo Lalloz
    Hugo Lalloz
  • 29 sept.
  • 4 min de lecture
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Réalisation : Ugo Bienvenu

Scénario :  Ugo Bienvenu et Felix de givry

Acteurs Principaux : Alma Jodorowsky, Swann Arlaud, Vincent Macaigne, Louis Garrel

Sortie : 22 Octobre 2025

Durée : 82 minutes

Genre : science-fiction, aventure, animation, fantasy

Société de production : Remembers, MountainA, France 3 cinéma, Fit Via Vi

Société de distribution :  Diaphana distribution


De sa trajectoire encore brève, Ugo Bienvenu semble n’avoir cueilli que les fruits éclatants de la reconnaissance. Déjà consacré à Angoulême, où son roman graphique Préférence Système se voyait distingué comme l’une des œuvres majeures d’une bande dessinée en pleine redéfinition, l’auteur poursuivait son ascension. Et voici qu’aujourd’hui, avec Arco, son premier long-métrage d’animation, il franchit le seuil d’Annecy, repartant auréolé du Cristal – cette récompense dont le prestige ne cesse de consacrer les nouvelles avant-gardes du cinéma animé. Les festivals l’annoncent comme le grand triomphe du genre, l’érigeant en successeur de Flow, qui fit l’événement au Feffs l’an passé. Cannes comme le Champs-Élysées Film Festival en avaient déjà pressenti l’évidence : Arco sera l’un des événements de l’année.


Il faut dire que Bienvenu n’a jamais cessé d’animer, au sens le plus littéral du terme : du roman graphique aux expérimentations pour Marvel – on se souvient de sa série Ant-Man –, son geste s’est toujours pensé en mouvement, tendu vers l’écran. Mais c’est bien Arco qui, pour la première fois, donne la mesure d’un projet d’auteur au long cours, posant les jalons d’une science-fiction française à laquelle il confère une dignité nouvelle. Œuvre à la fois saturée de références et pourtant profondément singulière, le film réinvestit les motifs visuels de ses univers bédéistes (jusqu’à convoquer le robot de Préférence Système) pour mieux les transfigurer. Loin du ton résolument adulte de ses bandes dessinées, Bienvenu s’adresse désormais à un public plus large, peut-être même enfantin, renouant ainsi avec l’ambition d’un cinéma animé capable de marquer l’imaginaire collectif. On osera alors rêver à ce que Arco devienne, pour une génération entière, ce qu’avaient pu être autrefois Kirikou ou Le Roi et l’Oiseau : une œuvre repère, à la fois populaire et visionnaire.


Arco met en scène un enfant de douze ans, habitant un monde suspendu dans les cieux, nouveau sanctuaire d’une humanité qui a fui sa propre ruine. Ses parents et sa sœur, tous voyageurs temporels, incarnent pour lui une vocation à venir : celle d’explorer le temps. Mais l’impatience de l’enfance est plus forte que l’interdit, et Arco, désobéissant à l’autorité familiale, se précipite dans les méandres de la timeline. Il échoue alors en un moment incertain, une Terre ravagée par les dérèglements environnementaux : orages diluviens, incendies dévorants, paysages désertés où seuls subsistent des robots au travail mécanique et des pots de fleurs holographiques – illusions fragiles d’une nature disparue. Tout porte à croire qu’il a chuté dans le futur, mais ce futur n’a d’autre visage que celui, terriblement familier, de notre présent.


De ce récit d’errance naît un film qui, loin de s’abandonner au simple constat d’extinction, tente d’infléchir le désespoir contemporain. Là où tant de fictions de science-fiction s’échinent à redoubler la froideur nihiliste de notre époque, Bienvenu oppose une résistance : il choisit la voie ténue mais obstinée de l’espérance. Oui, le monde s’effondre, et la crise climatique s’inscrit chaque jour davantage dans notre expérience tangible ; mais au cœur de cette débâcle, Arco sauvegarde la possibilité d’un avenir. C’est peut-être là sa plus grande beauté, ce que le public célèbre en lui : une fragilité cristalline, semblable à la pierre précieuse qu’Arco porte et qui ouvre les passages temporels. Le temps, dans ce film, ne se ferme pas comme une impasse tragique : il devient, paradoxalement, le lieu d’une germination, un terroir d’espérance où pourrait renaître la promesse d’un monde à habiter.


Pour dissiper l’obscurité qui menace son récit, Bienvenu infuse ses images d’une profusion de couleurs. Ainsi, la ville promise à l’embrasement, condamnée à s’éteindre sous le feu, s’auréole paradoxalement de teintes vives, éclatantes, presque outrancières. L’arc-en-ciel devient alors un motif récurrent, omniprésent, à la fois fragile et obstiné. On le retrouve jusque dans les lunettes des trois acolytes turbulents, faux antagonistes dont la menace se révèle illusoire face au véritable ennemi – le monde lui-même. Ces verres prismatiques disent quelque chose d’essentiel : la réalité ne peut être perçue qu’à travers le spectre de la couleur, comme si voir revenait toujours à recomposer la lumière. De même, la cape d’Arco, aux irisations multiples, se fait étendard héroïque, peintre du ciel qu’il traverse, qu’il soit azuré, orageux ou incendié.


Cette splendeur chromatique ne relève pas de l’ornement gratuit : elle dessine un contrepoint au désastre écologique. Car si le film déploie l’image d’un monde en ruine, il rend tout autant à la nature sa puissance régénératrice. Le « futur du futur » – ce temps suspendu où vit Arco au commencement du récit – apparaît comme l’aboutissement d’un processus écologique, une époque où l’humanité a enfin su prendre ses distances avec ses propres ravages. C’est là sans doute l’un des paradoxes les plus féconds du film : tout en filmant la catastrophe, Bienvenu esquisse un horizon de réparation. On mesure alors combien l’adoption d’un récit enfantin, éloigné de la gravité adulte de ses bandes dessinées, lui permet d’ouvrir cette brèche lumineuse dans l’imaginaire contemporain.


Ainsi, chez Ugo Bienvenu, la science-fiction se métamorphose en champ de l’idéal. Loin de se contenter de rejouer les mondes détruits, les exils planétaires et les dystopies éreintées qui hantent l’imaginaire du genre depuis ses origines, Arco affirme une autre vocation : celle d’édifier un monde possible, un monde réconcilié avec lui-même. Là où tant d’œuvres ne cessent de s’abîmer dans la répétition du désastre, Bienvenu se risque à combler les failles, à ouvrir des perspectives, à faire de l’utopie non plus une abstraction mais une forme sensible, presque palpable. Et c’est sans doute là que réside la grâce d’Arco : dans cette tentative de suppléer aux manques de son époque autant que de son genre, en faisant de la science-fiction non le miroir du désenchantement, mais la matrice fragile d’un avenir à inventer.


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