Réalisation : Sean Baker
Scénario : Sean Baker
Photographie : Drew Daniels
Montage : Sean Baker
Acteurs Principaux : Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Yura Borisov
Sortie : 30 octobre 2024
Durée : 2h19
Genre : comédie dramatique
Société de production : Cre Film et FilmNation Entertainment
Société de distribution : Le Pacte
Une consécration inattendue pour Sean Baker lors de la dernière édition du Festival de Cannes en décrochant la récompense suprême (La Palme d'or), là où les yeux (de la critique) étaient tournés vers Les Graines du figuier sauvage. Le cinéaste américain reste malgré tout un des favoris du festival depuis The Florida Project (2017) présenté à la Quinzaine des réalisateurs et Red Rocket (2022) en compétition officielle. Une ascension dans les sphères des festivals cinéphiles (de Belfort jusqu'à Cannes) pour un cinéaste portant à l'écran des personnages marginaux dans ses divers long-métrages, plus particulièrement des travailleurs/travailleuses du sexe rêvant de sortir du prolétariat américain. Dans Anora, on reprend les mêmes configurations dans un portrait d'une jeune strip-teaseuse de Brooklyn interprétée par l'étoile montante Mikey Madison, découverte chez Tarantino avec Once Upon a Time in Hollywood (2019) où elle finissait en barbecue dans une piscine mais également dans Scream (2022) où elle finissait également brulé dans d'atroces souffrances. Elle prend les commandes pour un premier rôle dans un road trip aux confins d'un pays toujours aussi fracturé socialement mais comme tout personnage bakerien rêve de son conte de fée.
Synopsis :
"Anora, jeune strip-teaseuse de Brooklyn, se transforme en Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre le fils d’un oligarque russe. Sans réfléchir, elle épouse avec enthousiasme son prince charmant ; mais lorsque la nouvelle parvient en Russie, le conte de fées est vite menacé : les parents du jeune homme partent pour New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage…"
Critique :
Un mariage et un divorce
Dès les premières minutes, de longs travellings sur les travailleuses chères au cinéma de Sean Baker, Anora nous pose en terrain connu de son esthétique de club chic avec ses néons, ses lumières rougeâtres,... s'installe avec une grande facilité. Divisé en trois parties distinctes, le long-métrage prend son temps pour établir son conte de fée où la jeune cendrillon nocturne vend son corps aux plus offrant. Notre personnage se nommant Ani de son propre chef fait partie du rouage d'un système social inégalitaire, tentant de survivre dans un monde masculin auscultant au regard et convoitant le corps féminin comme un simple objet de désir. Un quotidien sous son architecture cliquant est finalement morose, Ani existe en tant que personne bakerien cherchant une once de lumière. Le personnage est très convoité par la clientèle du "Headquarters", un quartier général où existent, se lient d'amitiés les diverses strip-teaseuse de Brooklyn. L'engrenage du récit s'enclenche quand Ani rencontre Ivan "Vanya" Zakharov (Mark Eydelshteyn), le fils fêtard d'un oligarque russe qui s'éprend d'un coup de foudre pour elle et lui demande de devenir sa confidente et escorte personnelle pendant une semaine. L'architecture de néons à ras du sol laisse sa place aux murs gris, aux grands espaces de la maison des parents du jeune garçon mais également à l'étage supérieur. La caméra de Sean Baker ne filme plus tant au sol la marginalité des ruelles ou des couloirs étroits, mais un château des rêves menant à la tour d'ivoire des désirs, une chambre trop grande pour ses personnages.
Fucking Cinderella
Malgré tout, les jeunes adultes développent une relation adolescente pendant la semaine où ils vont se côtoyer. Leurs vies respectives s'éloignent, les pressions sociales pour Ani et parentales pour Vanya sont pour le moment écartées. Un court instant d'une existence hors du temps, hors de la réalité où les personnages bakerien avaient pour habitude de lever les yeux vers le ciel. Dans Anora, les contre-plongées guidant vers la hauteur sociale, un rêve dont le ciel habituel de Baker est remplacé par des plafonds gris, un plafond littéral de verre où sont tirés des feux d'artifices factices. Si ce ciel invisible laisse présager la seconde partie du long-métrage, avant ce revirement nos personnages guidés par l'énergie vitale de la jeunesse se marient dans la ville des rêves, des lumières de Las Vegas. Sean Baker compose brillamment son inversion chronologique de Pretty Woman (1990), où Ani gravit l'échelle sociale et s'éprend d'un amour juvénile pour ce jeune fils, qui à son tour demande un service au personnage qui auparavant était l'outil masculin, pour pouvoir s'échapper de sa condition d'enfant séquestré par une vie adulte non désiré. Si Ani est parvenu à rentrer par la grande porte du conte rêvé qui n'était pas accessible dans une quelconque réalité, les personnes venant d'en haut, de la tour du château social vont également pénétrer de force la porte.
Le grand amour
Slapstick à tout prix
Le pivot qui transforme Anora en fabuleuse rébellion est le regard du dessus, un plafond de verre (en feu d'artifice) qui en voulant s'abattre sur la terre ferme subit la révolte slapstick du personnage bakerien luttant pour un conte de fées substitué avant le début du film. Ani vivait son existence sachant que le conte de Cendrillon n'existait pas, la Pretty Woman n'était qu'un film de fiction hollywoodien. Quand cette existence était offerte comme dans un rêve éveillé, la classe soi-disante supérieur retire ce rêve par mépris sociale. Les gorilles russes à la recherche de Vanya vont constamment prononcé le prénom Anora (Mikheeva), soumisse contre sa volonté à ses origines lui venant de sa grand-mère immigré, d'une possible fuite vers les Etats-Unis après la chute du mur en 1989 ? Néanmoins, les deux gardes du corps Garnick (Vache Tovmasyan) et Igor (Youri Borissov) vont servirent de punching ball slapstick pour Anora dans une longue scène de séquestration (sociale ?), où les corps s'élancent, se mordent, tombent. Le long-métrage se métamorphose en comédie mordante et grinçante sur le ridicule des situations, notamment le jeune mari fuyant littéralement la queue entre les jambes. L'engrenage de la deuxième partie s'élance dans une course poursuite dans les ruelles nocturnes scorsessiene de After Hours (1985), où Sean Baker prend un malin plaisir aux situations absurdes des molosses qui la séquestre pour une ballade forcée. Une classe supérieure ridicule dans ses codes conduites d'une école maternelle envers la gente féminine, mais dont Toros (Karren Karagulian) portera un regard médisant et diverses paroles méprisantes sur l'héritage et le travail d'Ani. Le drame nébuleux s'abat toujours sur les marginaux bakerien.
Pérennité factice
Un drame amplifiant une troisième partie où la neige s'apprête à s'abattre sur une Ani découvrant l'infantile caractère de son mari, soumis à ses parents, un adolescent ayant fait une fugue et rabat les cartes de la situation sociale de son épouse. Anora se libère des entraves masculines, celle d'un garçon inconscient du monde qui l'entoure, de la classe supérieure venant d'en haut, ne parvient pas à cacher le ciel au personnage bakerien qui le retrouvera enneigé malgré tout. Une neige qui scelle le personnage dans un final à la surprenante résilience et condamnation d'un corps. Un corps à nouveau soumis à l'amour et au sexe avec un Igor d'abord en arrière plan, un observateur qui ramène peu à peu la caméra à une taille égalitaire entre les deux personnages. Des travailleurs soumis à une fonction, l'un pour le sale boulot, l'autre pour le désir. Deux personnes qui se rapprochent, qui se détestent mais qui se regardent, subissent et finissent par se révolter, hausser le ton ou crier telle une scream queen. Une relation complexe ambiguë, toxique entre le masculin et le féminin terriblement laissée en suspend dans une voiture tandis que la neige se colle aux parois, le personnage bakerien bravera-t-il la tempête une nouvelle fois ? Si Anora se conclut sur un point mort enneigé, Sean Baker est toujours le fin observateur d'un feu qui s'éteint pour une génération, auquel il offre pourtant un feu d'artifice de liberté et de rébellion.
La neige de la condamnation
La note du rédacteur : 5/5
L'avis des autres rédacteurs :
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