Réalisation : François Ruffin et Gilles Perret
Scénario : François Ruffin et Gilles Perret
Assistant réalisateur : Guillaume Tricard
Montage : Cécile Dubois et Yoann Veyrat
Acteurs Principaux : Sarah Saldmannn, Louisa Hareb, Amine Boubaker, Pierre Corrue,...
Sortie : 6 novembre 2024
Durée : 1h24
Genre : Documentaire
Société de production : Les Quatre cents clous et Mille et Une Productions
Société de distribution : Jour2Fête
Pour leur quatrième collaboration, le tandem Perret-Ruffin signe Au Boulot ! succédant ainsi à une trilogie de films eux aussi énoncés sur un ton impératif : Merci Patron ! (2016), J’veux du soleil ! (2019) et Debout les femmes ! (2021). Marqués par des points d'exclamation, ces documentaires s’inscrivent comme des manifestes politiques portés par un réalisateur qui n’est autre que l’actuel député de la Somme ! Pour François Ruffin, figure de la gauche, le documentaire représente un espace d'expression engagé, capable de défier l'empire médiatique néolibéral, bastion du controversé Vincent Bolloré. C'est justement dans cette arène médiatique qu’Au Boulot ! prend forme : Sur le plateau de RMC, lors d'une émission des Grandes Gueules, une éditorialiste et avocate, Sarah Saldmann, attaque sans retenue : « Mes impôts n'ont pas à financer la médiocrité de ceux qui refusent de travailler », lance-t-elle. Elle poursuit, dénonçant « ces feignasses », « ces assistés », et ne cache pas son mépris : « Si, après neuf mois, tu n’as pas trouvé de travail, c’est que tu n’as pas cherché », concluant par un froid : « Il vaut mieux toucher 1300 euros que rester au chômage, monsieur. » Cette diatribe n’a pas laissé Ruffin de marbre : aussitôt, il contacte Gilles Perret et invite solennellement Saldmann à expérimenter le travail au smic pendant un mois. Elle accepte… mais que pour une semaine.
Synopsis :
"« C’est quoi ce pays d’assistés ? De feignasses ? » Sur le plateau des Grandes Gueules, l’avocate parisienne Sarah Saldmann s’emporte: « Le Smic, c’est déjà pas mal. » D’où l’invitation du député François Ruffin : « Je vous demande d’essayer de vivre, madame Saldmann, pendant trois mois, avec 1 300 €. - Admettons, mais une semaine, ça sera déjà pas mal. » Alors : peut-on réinsérer les riches ?"
Critique :
Marionnette, pirouette, girouette !
Si la flamboyante Sarah Saldmann occupe une place majeure dans le documentaire, suscitant souvent l’agacement des spectateurs les plus sensibles, elle n’en devient pas moins la marionnette comique des réalisateurs. Introduite comme la caricature parfaite de la bourgeoise parisienne — hauts talons, tailleur strict et chihuahua en laisse —, Saldmann incarne un personnage que le duo Ruffin-Perret condamne résolument à la satire. Sa déconnexion sidérante du quotidien, illustrée par son indifférence face au prix extravagant de son croque-monsieur (54 € !), ne peut qu’inviter à la raillerie. Il fallait la faire redescendre de sa tour d’ivoire, et les réalisateurs s’emploient à tirer les ficelles de cette marionnette pour l’immerger dans un monde qu’elle ne maîtrise guère. Saldmann est ainsi entraînée dans les profondeurs des territoires ruraux, où elle s’essaye au travail manuel, qu’elle découvre avec maladresse. Le film prend alors des allures de road movie comique, rappelant les aventures de la collection pour enfants Martine : « Sarah à la ferme », « Sarah à la poissonnerie », « Sarah pose la fibre »… À chaque étape, les quelques efforts requis suffisent à faire geindre l’avocate, laissant transparaître une drôlerie involontaire dans les regards consternés des travailleurs qui l’entourent, et dans leurs répliques mordantes où le ressentiment envers la bourgeoisie se fait palpable. Toutefois, Saldmann, bien que comique, apparaît aussi comme le pantin d’une autre influence plus pernicieuse : celle des médias dominants, ce qui confère à Au Boulot ! une dimension presque vaine. Car si elle s’efforce de montrer une certaine tendresse devant la caméra de Perret, offrant même des excuses pour ses propos, son retour sur les plateaux télé révèle une façade bien différente, où ses positions acerbes et méprisantes perdurent. Personne n’est dupe : on se doute bien que Saldmann ne se plierait pas réellement aux idéaux de la gauche. Mais à force de cabrioles et de retournements, ce personnage caméléon a fini par perdre toute crédibilité sérieuse. À la surprise générale, Ruffin met alors un terme à sa prestation en la « licenciant » du documentaire !
"Au Boulot !"
« L’important, c’est les gens ! »
Mais alors, que reste-t-il d’un documentaire qui décide d’éliminer son propre ressort narratif ? Pour Ruffin, la réponse est limpide : ce sont les gens ! Saldmann n’est depuis le début qu’une coquille vide, un prétexte. Les véritables « personnages » sont ces travailleurs anonymes qui l’accompagnent. Si la réinsertion des riches semble une chimère, autant braquer les projecteurs sur ceux qui font vivre le pays. Agriculteurs, ouvriers, aides à domicile, intérimaires… tous ont été soigneusement choisis pour incarner, à travers leurs parcours, la diversité et la profondeur de la classe populaire française. Le périple de cette équipe documentaire réduite à sa plus simple expression — Ruffin et Perret eux-mêmes — se déploie de Grigny à la Picardie, touchant des vies de tout âge et de toute origine. On y rencontre par exemple un jeune salarié, laissé pour compte par le système de Parcoursup, et une retraitée qui travaille encore pour offrir un Noël à ses petits-enfants. Avec une humanité simple, le casting d’Au Boulot ! se révèle riche et multigénérationnel, formant un portrait cosmopolite de la France du quotidien. Le constat du film est amer : la précarité est un fardeau partagé par tant de vies, partout. Pourtant, au lieu de sombrer dans la lamentation, travailleurs et réalisateurs choisissent de s’accrocher à la joie. La scène finale où tous les protagonistes défilent sur un tapis rouge, déroulé sur la plage et dansant sur la chanson Santé de Stromae, devient un hommage chaleureux, une fête en leur honneur. C’est sans doute l’un des rares moments du film, bien que fragile, où se manifeste un véritable geste cinématographique…
Au cœur de la populace
On veut la TV, on fait de la TV !
Voilà bien la première faille du projet : Au boulot ! tend davantage vers le reportage (certes percutant) que vers une œuvre cinématographique pensée et façonnée comme un langage propre. Le film ne prend des allures de cinéma que dans de rares instants où le montage ose des élans de comédie et de satire, offrant des moments dignes des meilleures douches écossaises : Saldmann, par exemple, passant d’une boutique de luxe à la boue en un claquement de coupe ! Ce jeu de confrontations contrastées, qui pourrait être l'épine dorsale du film, s'efface pourtant bien vite. Cette absence de ruptures formelles se fait d’autant plus regrettable que ce sont ces touches de montage incisif qui instaurent une distinction essentielle entre la télévision et le cinéma. À trop s’enfermer dans une esthétique de reportage — jusqu'à ce que Ruffin lui-même, dans la séquence finale, endosse le déguisement du journaliste —, le projet semble aspirer à un circuit de diffusion plus large, mais reste limité aux salles d'art et d'essai. On sent alors l'ironie d'un film qui, tout en dénonçant les frontières imposées aux classes populaires, se retrouve lui-même confiné dans un espace restreint, celui du cinéma d’auteur, loin des écrans grand public qu’il semble pourtant viser.
Cinéaste ou politicien, tel est la question ?
En bien des aspects, Au boulot ! s'impose comme une œuvre politique précieuse pour la gauche française, s'érigeant en contrepoint vivace aux discours des néolibéraux toxiques qui polluent les plateaux télévisés. Mais le fait qu'un député populaire soit à la fois devant et derrière la caméra risque d'entraver son inscription durable dans les salles de cinéma. Cette œuvre est aussi « commando » que son dispositif de tournage réduit à l’essentiel, ne trouvant qu’une niche dans les rares cinémas audacieux prêts à l’accueillir. Il serait exagéré de déjà annoncer un échec public, mais il est indéniablement freiné par sa production quasi sauvage et sa diffusion limitée. Pour autant, le tandem Perret-Ruffin brise la figure morose de la gauche française en insufflant un ton comique et irrévérencieux des plus rafraîchissants ! Au boulot ! est, sans conteste, fragile et bancal, mais il possède une singularité inédite et une audace qui, malgré toutes les contraintes, en font une contribution originale au paysage politique et cinématographique.
Parlons réinsertion
La note du rédacteur : 3/5
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