Réalisation : Tim Burton
Scénario : Alfred Gough et Miles Millar
Photographie : Haris Zambarloukos
Musique : Danny Elfman
Acteurs Principaux : Michael Keaton, Winona Ryder, Jenna Ortega, Catherine O'Hara, Justin Theroux, Monica Bellucci...
Sortie : 11 septembre 2024
Durée : 1h45
Genre : Comédie horrifique
Société de production : Warner Bros. Pictures, Geffen Company et Plan B Entertainment
Société de distribution : Warner Bros. Pictures
Depuis 2003 et son ultime sommet (Big Fish), Tim Burton semblait être entré dans une errance sans fin dans son cinéma souvent décrié, moins personnel ou organique, et souvent engoncé dans les exigences de certains studios. Malgré quelques coups d'éclats ou soubresauts ici ou là, beaucoup l'annonçaient comme étant ce cinéaste plus mort que vivant perdu dans un âge d'or qu'il ne pourrait plus jamais retrouver. Les premiers retours sur ce Beetlejuice Beetlejuice laissaient cependant entrevoir un espoir qu'on escomptait comme tout sauf vain… Désormais sorti en salle nationalement, il est temps d'en dresser le bilan et de faire tomber le verdict !
Synopsis :
Après le décès de Charles, la famille Deetz fait son retour dans la ville de Winter River. Alors que Lydia est toujours hantée par le souvenir de Beetlejuice, sa fille Astrid ouvre accidentellement un portail sur l'Après-vie après une rencontre fortuite. Lydia part à sa recherche avec son futur époux Rory mais aussi l'épouvantable Beetlejuice lui-même sujet à une menace personnelle. Ainsi commence une aventure rocambolesque entre deux mondes presque vivants…
Critique :
Recomposition Burtonienne
Il n'y aucun doute : le réalisateur nous offre bel et bien une suite mais aussi une continuité de Beetlejuice (1988), son premier long-métrage (second dans la chronologie de sa filmographie) totalement libre, comme plus jamais (ou presque) Burton ne l'avait été par la suite. D'emblée, on sent que l'idée est de s'émanciper, de communiquer avec les obsessions de son passé, les démons de sa créativité, les libérer pour les convoquer dans un monde où morts et vivants ne cessent d'interagir... Dès les premiers plans, Tim Burton balade sa caméra et ses spectateurs en une introduction aérienne sur son monde pavillonnaire américain, le fondant dans un effet de maquette (écho à celles des Maitland lors de l'œuvre originelle) avant de l'enfermer dans un studio d'enregistrement. Lydia est là, sous les traits d'une Winona Ryder qui raconte une histoire, presque en écho avec son persona dans Edward aux mains d'argent (1990), mais ici il s'agit de faire peur... artificiellement, en mode divertissement sans âme, pour une héroïne plus Burtonienne que jamais ici bloquée dans sa hantise et contrôlée par la production - avec son manager amant (Justin Theroux) qui s'avère vite être un vampire séducteur du monde moderne capitaliste (allégorie d'un Disney qui a tant sucé la moelle créative de notre artiste ?). Le décor (dans le décor) est planté : à partir de là, Tim Burton n'aura de cesse d'en sortir, ou d'essayer de le faire, enfonçant parfois des portes ouvertes mais allant surtout de l'avant pour briser un carcan dans lequel il s'était enfermé depuis des années…
"Vous m'avez rappelé ?"
Tout sera très vite confirmé lors de l'apparition de Monica Bellucci, sa nouvelle compagne et désormais muse, qu'il utilise comme prétexte en tant que "Mal pour affronter le Mal", ennemie de l'antagoniste Beetlejuice qui se voit reconstituée et même "auto-recomposée" par le truchement de circonstances le temps d'une scène aux allures d'un Frankenstein moderne, avec au passage un clin d'oeil à La Famille Addams / Mercredi comme pour conjurer le sort - Burton utilisant même Jenna Ortega très vite ensuite en fausse Mercredi Addams comme pour retourner certaines attentes et s'ouvrir à la nouvelle génération représentant ses propres enfants. Tout Tim Burton y est, de la base de ses inspirations à ses envies d'une nouvelle énergie avant de faire entrer son film-miroir dans le "soul train" d'une électricité continue… tout en musique (magistral hommage à Richard Harris et son "McArthur Park" le temps d'un scène de mariage très créative ou utilisation décalée des Bee Gees), humour mais aussi réflexion psychologique !
A partir de là, il serait inutile de dérouler toutes les autres scènes du film tant tout est clairement établi ou presque. Car sur ces entrefaites, Burton s'amuse à nouveau et laisse libre court à cette tentative de liberté nouvelle en lâchant parfois tout contrôle au gré de ses envies. Ce qui n'empêche donc pas le métrage d'être entaché de quelques poncifs ou limites entre deux scènes en stop motion peut-être bizarrement modernisées certes mais très fortes en humour noir et doublement dévorantes (où comment pour la première se débarrasser d'un personnage : la faute à un acteur devenu disons-le gênant), sans oublier autres écueils d'une intrigue un peu trop en roue libre qui fait apparaitre ou disparaitre ses personnages souvent fonction (ou, répétons-le, "prétexte") au fil des envies tant est si bien que certains moments surprennent ou peuvent s'avérer un peu lourds... Or cela fait partie d'un concept de libération mais aussi d'allers-retours constants entre les morts et les vivants, entre deux mondes qui n'ont jamais été aussi poreux l'un avec l'autre. "Au-delà delà" de toute limite. Un Tim Burton, peut-être, en auto-thérapie.
La magie Burton est cependant à nouveau là dans l'idée où, malgré ces moments parfois pénibles qui peuvent conférer un certain mal de tête, certains choix étant en harmonie avec le fond du propos : toujours questionner le monde dans lequel l'auteur vit (ici encore plus moderne et ultra-conformiste jusqu'à l'absurde de la consommation et même d'une zombification technologique le temps d'une scène d'aspiration téléphonique aussi gratuite que jouissive) - point qu'il n'a jamais véritablement abandonné d'ailleurs : on se souvient de la deuxième partie d'un Dumbo (2019) peut-être bien décrié à tort quand on y regarde de plus près. D'autres décisions sont certainement prises ici par l'auteur afin d'établir sa propre psychanalyse et acter le deuil d'une certaine époque de vie sans en renier les bénéfices et les influences. Tim Burton y intègre même un personnage de garçon solitaire presque Edwardien dans sa bulle comme bloqué dans le temps avant de le "retourner" pour au final privilégier à nouveau la vie et le réel (via notamment une connexion mère / fille plus touchante qu'il n'y paraît).
Réinjecter la vie par-delà la mort...
La Vie après/au-delà la Mort
En cela, Beetlejuice Beetlejuice reprend presque où Big Fish s'est arrêté, une fois des funérailles (somme toute joyeuses dans une union de "ceux qui restent" - ici celles du père Deetz qui se ponctue sur un "Day-O" choral fort amusant) acceptées et consommées : la vie reprend son chemin même si l'aventure va être chargée. Le contact entre des humains (mère et fille) est ravivé par un passage chez les morts et face à la mort (et même "trompe-la-mort" pour le premier passage d'Astrid à vélo au-delà du fameux pont qui fut fatal au couple Maitland) tout aussi burlesque que dangereuse (le personnage de Beetlejuice lui aussi est quelque part prétexte et fonction à ces retrouvailles et cette connexion vitale - certainement magnifiées sur cette scène de mariage assez mémorable dans sa folie d'émancipation), tant est si bien qu'au final il n'y a plus que ça d'important : l'existence après une certaine acceptation, un lâcher prise pour finaliser son deuil sans pour autant renier ni oublier. De toute façon, la hantise ne disparait jamais vraiment et on peut très bien imaginer une autre suite où le nom du film pourra faire revenir son personnage-titre en le nommant trois fois...
Les vivants par-delà la mort
En attendant, son auteur peut savourer un certain retour en grâce même si tout était encore en lui et donc loin d'être perdu, il suffisait de reprendre confiance en soi et de faire à nouveau jaillir l'étincelle pour le plaisir des spectateurs. Ainsi cette suite au plus déjanté et libre de ses brûlots s'avère amplement légitime dans cette approche macabro-comique qui décide de rire à pleine dents de la mort pour l'imprégner de vie, afin de raccrocher tout ce beau monde à l'existence et enfin se réjouir d'être là pour soi et pour les autres. Sans pour autant se renier, en gardant sa cohérence thématique mais aussi une forme de folie qui fera de Tim Burton un éternel ado désormais prêt à intégrer une nouvelle ère pleine de maturité… mais aussi d'une nouvelle jeunesse que l'on espère durable si ce n'est éternelle !
La note du rédacteur : 3.75/5
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