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[Critique] Exit 8 ou le "ludocinéma" : Pour une esthétique de l'échec.

  • Photo du rédacteur: Hugo Lalloz
    Hugo Lalloz
  • 3 sept.
  • 3 min de lecture
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Réalisation : Genki Kawamura

Scénario : Genki Kawamura et Kentaro Hirase

Photographie : Keisuke Imamura

Acteurs Principaux : Kazunari Ninomiya, Yamato Kochi, Naru Asanuma

Sortie : 3 Septembre 2025

Durée : 1 h 35

Genre : Horreur

Société de production : Toho

Société de distribution : ARP sélection


Depuis quelques décennies, à mesure que le XXe siècle s’efface dans les rétroviseurs d’un imaginaire saturé d’images, un nouvel antagoniste — ou peut-être un allié mimétique — se dresse face au cinéma : le jeu vidéo. À moins qu’il ne s’agisse d’un double spectral, d’un reflet déformant dans la surface liquide de la fiction contemporaine. L’époque, avide de correspondances et de synesthésies culturelles, multiplie les tentatives de fusion entre ces deux régimes de perception. Des itérations successives — Sonic, Mario, Until Dawn — témoignent de cette volonté, sinon de réconciliation, du moins d’hybridation. Mais ces adaptations, souvent inabouties, trébuchent sur l’écueil fondamental de leur ambition : transposer le gameplay — cette dramaturgie interactive, ce geste moteur du joueur — sans le trahir dans le moule narratif du septième art. Et voici qu’Exit 8, à la manière d’un prodige silencieux, surgit comme une épiphanie : enfin un film qui ne feint pas de jouer, mais qui pense le jeu — en cinématographe.


Sans clic, sans manette, Exit 8, du japonais Genki Kawamura, fait jouer. Étrange miracle d’un cinéma devenu interface, rite d’initiation sensorielle où le regardeur se mue en conscience captive, errante, suspendue dans une boucle spatio-temporelle — un couloir où l’éternel retour n’est plus concept nietzschéen mais matière plastique. Le film épouse la logique de sa matrice vidéoludique : celle d’un personnage sans nom, sans histoire, pris dans l’engrenage d’un espace unique — corridor d’un métro désaffecté, dont chaque virage reconduit à sa propre énigme. Et ce sont les “anomalies” — ces fractures de la répétition — qui viennent percer l’opacité du trajet, comme autant d’inquiétantes dissonances perceptives.

La mécanique du « die-and-retry », pierre angulaire de la grammaire vidéoludique, devient ici chair mentale, chorégraphie de l’échec et de la réminiscence. Il ne s’agit plus de comprendre, mais de pressentir ; non plus de résoudre, mais d’habiter l’erreur. Until Dawn tentait déjà, timidement, cette partition itérative — mais restait prisonnier de son illusion cinématographique, contraignant le joueur à suivre, plutôt qu’à chercher.

Exit 8, lui, inverse la perspective : ce n’est plus seulement le personnage qui enquête, mais le spectateur lui-même, convié à une vigilance active, à une attention microscopique portée aux signes — à l’infime, à l’écart, à ce qui cloche. Car dans cette structure répétitive, le regard gagne un pouvoir inédit : il devient jeu, il devient geste. Le spectateur, libéré de sa passivité, accède enfin au privilège d’une interaction sans contact — d’un cinéma qui n’impose plus un récit, mais ouvre un territoire.


De son double vidéoludique, Exit 8 n’emprunte pas seulement la structure, mais en extrait la sève affective — cette matière trouble faite d’amertume, de frustration, de fixations quasi-obsessionnelles. L’échec y devient affect, le recommencement, pulsion ; et le détail, vertige. Il ne s’agit plus d’adapter le jeu, mais d’en capter le spectre sensible, de faire du cinéma le lieu d’un affect vidéoludique transposé, rêvé, sublimé. Par son esthétique du ressassement — ce temps suspendu, circulaire, proche de la panique — le film invente un tempo propre : celui d’un infini clos, saturé de micro-variations, où chaque déviation devient révélation.


Exit 8 ne reproduit donc pas le jeu : il en est la résonance spectrale, la persistance rétinienne, l’écho d’un médium dans l’autre. Il incarne cette impossibilité — celle d’un cinéma qui ne serait plus linéaire, mais conditionnel, labyrinthique, infusé de potentialités. En cela, il n’est pas l’adaptation du jeu, mais sa rêverie posthume.

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