[CRITIQUE] L’Intérêt d’Adam ou la topologie du soin impossible
- Hugo Lalloz
- il y a 1 jour
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Si Un Monde avait déjà manifesté une poétique du resserrement et une gravité sans concession, L’Intérêt d’Adam consacre Laura Wandel comme l’une des héritières les plus aiguës du geste belge contemporain, cette lignée où la matérialité du plan excède toujours le discours. Là où le cinéma courant s’autorise à figurer, Wandel, elle, entaille. Fidèle à la logique d’un réalisme d’incarnation — où l’affect n’est jamais déposé en supplément mais arraché à la chair même des êtres filmés — elle prolonge l’orthodoxie fraternelle des Dardenne, sans s’y soumettre, mais en en fracturant le paradigme.
Le film substitue à la verticalité hiérarchique (celle des pouvoirs institués, de la domination comme posture de surplomb) une horizontalité inquiète, fragile, qui ne tient que dans la possibilité ténue du lien. Ce qui se joue dans la topographie d’une institution pédiatrique n’est pas un simple conflit dramatique, mais une dialectique du soin comme impossibilité : la tendresse ruinée, la sollicitude hantée par sa propre défaillance. La caméra, obstinément frontale, renonce au pittoresque et choisit le plan serré, la proximité vibratile, le temps suspendu de la douleur partagée.
Dans ce huis clos saturé, Léa Drucker ne compose pas un rôle : elle investit un espace. Son jeu relève moins de l’interprétation que de l’inscription, comme si son corps devenait membrane poreuse, sensible à chaque vibration du hors-champ. Elle ne sauve pas, ne résout pas : elle supporte. Et ce support, qui ne redouble jamais la dramaturgie mais l’excède, institue une véritable politique du regard. Par la seule torsion de ses yeux, Drucker reconfigure la maternité non comme fonction mais comme spectre, comme trace insistante, comme survivance altérée.
L’architecture du film — cloisonnée, sans échappatoire, réduite à un réseau de couloirs étouffés — fonctionne comme une métaphore du destin : non pas un décor, mais une topologie de l’empêchement. Chaque mur résonne d’un tumulte intérieur, chaque silence épaissit le réel jusqu’à la suffocation. Le huis clos n’est donc pas dispositif mais langage, écriture géométrique où le sensible trouve sa vérité dans le resserrement.
L’Intérêt d’Adam s’affirme ainsi comme une tragédie négative : drame sans catharsis, récit du renoncement comme clairvoyance. Wandel s’y révèle en cinéaste du tremblement, de l’intervalle, de cette palpitation qui échappe au cri pour s’écrire dans le frisson d’un visage, l’éclat discret d’une présence. On pourrait dire : un Dardenne dégenré, traversé d’une féminité secrète, où l’éthique s’incarne moins dans la frontalité de l’affrontement que dans l’épreuve muette du sensible. Là se loge, dans sa beauté la plus austère, le cinéma de Wandel : un cinéma qui n’énonce pas, mais qui éprouve, et qui fait de cette épreuve une vérité partagée.
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