top of page

[CRITIQUE] Miroirs N°3, de l’infime à l’abîme : une poétique du presque rien

  • Photo du rédacteur: Hugo Lalloz
    Hugo Lalloz
  • 27 août
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 sept.


ree

Réalisation : Christian Petzold

Scénario : Christian Petzold

Photographie : Hans Fromm

Acteurs Principaux : Paula Beer, Barbara Auer, Matthias Brandt

Sortie : 27 Aout 2025

Durée : 1 h 26

Genre : Drame

Société de production : Schramm Film, Arte

Société de distribution : Les films du Losange


Parmi les œuvres éphémères ayant transité par la Quinzaine en mai dernier, puis ressuscitées à l’occasion de projections de rattrapage dans le huis clos feutré des salles de presse parisiennes, le dernier opus de Christian Petzold s’érige aujourd’hui en révélation fulgurante. Là où les remous cannois, au bord de la Croisette, avaient laissé supposer un objet houleux, voué à fissurer les dogmes esthétiques, la reprise parisienne a paradoxalement produit l’inverse : une convergence soudaine, une polyphonie discordante devenue harmonie. Avec Miroirs n°3, le cinéaste allemand poursuit une ascèse de la raréfaction, un art de la soustraction et du retrait, où chaque plan semble s’abolir lui-même dans le mouvement spectral de son effacement — glissement discret, disparition métaphysique, dissolution dans l’ombre.

Dans ce récit minéral, incrusté dans l’étreinte suffocante d’un été rural où l’herbe se pulvérise en poussière, le passage n’est plus simple motif mais principe ontologique de la narration. La fiction s’y engendre dans l’itération même du déplacement : perpétuels allers et retours entre deux pôles, deux espaces, deux états psychiques. Sous l’apparente modestie d’un dispositif réduit — quatre figures, leurs trajets répétés — sourd un tremblement profond, un malaise tellurique, comme si le geste le plus anodin recelait une inquiétude inexprimée. Dans cette sécheresse coutumière, Petzold déploie une atmosphère où l’angoisse s’infiltre par capillarité, telle une rémanence cauchemardesque au seuil de l’inconscient. L’insoutenable ne procède pas de l’éclat mais de la douceur : il se loge dans l’infime, transmuant la légèreté en vertige, le quotidien en menace abyssale. Miroirs n°3 acquiert là sa puissance singulière — faire du rien une apocalypse feutrée.

De ce point de vue, Petzold se rapproche moins de la rigueur brechtienne que de la sidération clinique de Michel Franco : un cinéma de la pudeur et du refoulement, hanté par la psyché vacillante, mais aussi traversé par l’éclair cru du malaise. La filiation avec Yorgos Lanthimos, architecte d’un monde déréglé, affleure également, mais c’est d’abord dans la connivence avec Franco que se joue l’essentiel : cette gêne organique qui infiltre chaque plan comme une maladie latente. Qui se souvient du dérangeant Daniel & Ana n’ignore pas cette sécheresse coupante, cette gêne matricielle qui infecte l’image. Miroirs n°3 n’opte certes pas pour la même brutalité provocatrice ; mais son obsession souterraine — substituer un vivant à un mort — convoque en filigrane un motif éminemment hitchcockien. Toutefois, là où Franco frappe et lacère, Petzold ensorcelle et ensorcèle : le cinéma devient un seuil fragile, une zone d’indistinction où le naturel se déforme sans rupture, où le malaise ne s’énonce pas mais se condense, atmosphère insidieuse, irradiation inévitable.

Ainsi, dans cette dramaturgie de l’infime, chaque geste s’auréole d’une équivoque inépuisable, chaque silence se creuse en gouffre. Le presque rien devient vertige, le quotidien se fissure sous le poids de sa propre précarité. C’est précisément dans cette manière de faire frémir le réel à bas bruit, dans cette vibration souterraine qui menace de tout dérégler à tout instant, que Petzold rejoint la constellation lanthimossienne : cette anticipation diffuse, quasi métaphysique, que le monde — un jour, soudain, imperceptiblement — puisse basculer.

Commentaires


bottom of page