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[CRITIQUE] La Bête : L'amour temporel



Réalisation : Bertrand Bonello

Scénario : Bertrand Bonello, Benjamin Charbit et Guillaume Bréaud, inspiré du roman court La Bête dans la jungle de Henry James

Distribution : Léa Seydoux, George MacKay, Guslagie Malanda

Sortie : 7 février 2024

Durée : 2h26

Genre : Science-fiction

Production : Arte France Cinéma, Les Films du Bélier, My New Picture, Sons of Manual

Distribution : Ad Vitam

 


Introduction :


Cinéaste voguant à contre-courant du cinéma Français, après un passage en compétition à La Mostra de Venise en septembre 2023, le nouveau Bertrand Bonello sort dans nos salles de cinéma. Dans le cadre d'une filmographie prolifique, il s'attaque cette fois-ci au genre de la science-fiction en adaptant librement le court roman de Henry James La Bête dans la jungle (1903). Maintes fois adapté, notamment par Marguerite Duras au théâtre (1981) ou encore François Truffaut avec La Chambre verte (1978), sur une œuvre parlant de la difficulté de compréhension entre les individus, un livre pleinement dans la veine des thématiques de Bonello.


Synopsis :


"Dans un futur proche où règne l’intelligence artificielle, les émotions humaines sont devenues une menace. Pour s'en débarrasser, Gabrielle doit purifier son ADN en replongeant dans ses vies antérieures. Elle y retrouve Louis, son grand amour. Mais une peur l'envahit, le pressentiment qu'une catastrophe se prépare."

 

Critique :


Contact impossible


Bertrand Bonello réinvestit le livre de Henry James en métamorphosant totalement son genre, le transformant en œuvre de science-fiction se déroulant en l'an 2044 dans un Paris proche de notre monde contemporain dans l'architecture. Le film débute sur Gabrielle (Léa Seydoux) devant un fond vert suivant les instructions d'une voix off, le conditionnement et l'isolement sont des thèmes en filagramme dans la filmographie du cinéaste que ce soit Coma (2022) avec le monde visible à travers un écran d'ordinateur ou le refuge dans un magasin de Paris dans Nocturama (2016) suite aux attentats perpétrés par des étudiants. L'enfermement dans le cinéma de Bonello marque l'idée de la mort de l'être humain, La Bête perpétue la thématique sous le prisme de l'amour entre Gabrielle et Louis (George MacKay) piégé dans trois époques : 1910, 2014 et 2044 dans un long-métrage métamorphosant son genre (mélodrame, thriller et dystopie) en permanence dans ses allers-retours à travers le temps dans une machine Cronenbergienne.


Confinement et Pérambulation

Le premier voyage temporel en 1910 se rapprochant du texte originel voit fleurir un amour interdit avec un flirt subtil avec Douglas Sirk dans des décors Viscontien. Le cinéaste transforme ses influences dans un cadre rapprochant et éloignant nos amants, sous la menace permanente d'une catastrophe redoutée par Gabrielle. Alternant les années 2044, 1910 et 2014, le cinéaste enferme cet amour d'abord naissant devenant misandre puis purgatoire de toute émotion. L'affect envers deux êtres humains traverse les âges faisant aussi naitre les résiliences émotionnelles, de 1910 et son couple chimérique avec un fabricant de poupée, en passant par le monde contemporain où les réseaux servent de déversoir de haine envers la gent féminine, puis le monde dystopique de l'an 2044 avec les IA purgeant toutes les émotions au profit de l'utilité sans accroc d'un monde uniforme. C'est là où réside cette fameuse "bête", la peur d'aimer et la méfiance envers l'autre, prenantes diverses formes : un feu brulant une usine de poupée, la caméra d'un névropathe servant de pamphlet misogyne et une voix donnant des ordres. Utilisant ses comédiens jouant habilement les différentes incarnations de leurs personnages où résident les contrastes des différentes angoisses de leurs époques respectives. Bertrand Bonello prend un malin plaisir en alternant la temporalité et les faire réponde comme quand Gabrielle prend une expression neutre d'une poupée en 1910 devenant, en 2044, une entité seulement réceptrice des confidences.


L'amour incendiaire

 

Images décalquées et cloisonnement


Cette dimension cyclique, le film en décalque l'idée jusque dans ses images, d'un contact de main devenant un regard à distance et une disparition de présence humaine. La séparation et l'impossibilité d'un quelconque contact humain devenant notamment une notion horrifique dans les segments se déroulant en 2014 dans l'isolement de Gabrielle au sein d'un appartement à Los Angeles, rappelant Mulholland Drive (2001) de David Lynch dont il reprend aussi au cinéaste américain une non-linéarité scénaristique. Bonello transcende l'enfermement Lynchien par son cadre, mettant nos amoureux temporels ensemble mais se fuyant du regard, séparés par des champs contre champs en 2044 ou devenant source de fantasme et de voyeurisme en 2014 à travers les images d'une caméra.


Regards fuyants


L'image étant aussi le support d'une réflexion sur l'éloignement des humains du contact, du fond vert en introduction jusqu'au tournage d'une pub en 2014 sur la même idée de l'incrustation. Le long-métrage évoque la facticité de la modernité, elle éloigne du réel et des personnes : en témoignent les différentes entrevues entre Gabrielle et une médium via un ordinateur. L'humain de son propre gré s'éloigne de l'autre et crée sa propre peur (sa bête), d'où naitra de sa création l'IA responsable de la purgation des émotions, notamment avec Louis de l'an 2044 réfutant toute émotion. Bertrand Bonello relie son film à notre contemporain dans les liants temporels et les images connectées entre elles mais cloisonnant nos personnages jusqu'au spectateur dans un QR code. En abandonnant ses émotions, l'humain devient inerte mais c'est par peur qu'il les réfute, en renouant avec dans une boîte de nuit vide de présence humaine sauf avec la personne pouvant rallumer l'étincelle. Un cri Lynchien (Twin Peaks) est poussé comme une grande frayeur de se confronter à l'amour et "la bête" tapie dans l'ombre.


Nouveau départ ?


Conclusion :


Les images se répondant, reflets d'une séparation entre les individus dans un écho avec Coma (2022) mais pas seulement. La Bête transcende son discours sur la peur primaire de l'autre, la dissolution de l'amour et des émotions au travers du temps qui détruit le contact de la chair. Bertrand Bonello utilise le voyage dans le temps comme liant des époques, ces mœurs dont naissent cet amour mais aussi son impossibilité. Le film en trouve alors un geste de cinéma d'une grande intelligence.

 

La note du rédacteur : 5/5



 

 


L'avis des autres rédacteurs :


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