Réalisation : Hayao Miyazaki
Scénario : Hayao Miyazaki
Sortie : 1er novembre 2023
Durée : 2h03
Genre : Drame, aventure, conte fantastique
Société de production : Studio Ghibli
Société de distribution : Toho, Wild Bunch (France)
Dix ans après Le vent se lève (2013) pourtant annoncé comme son dernier, Hayao Miyazaki nous propose une nouvelle œuvre très personnelle que beaucoup pourraient considérer comme son tout dernier projet mais qui ne devrait pas être l'ultime travail du génie. L'occasion de faire un bilan et d'ouvrir de nouvelles perspectives à travers son univers florissant et ses habituelles obsessions…
Du feu destructeur jaillit la flamme de la vie…
Synopsis :
En 1943, le jeune Mahito Maki perd sa mère dans l'incendie d'un hôpital à Tokyo. Un an plus tard, Shoichi, le père de Mahito, propriétaire d'une usine de munitions aériennes, se remarie avec la soeur cadette de sa défunte épouse, Natsuko et partent vivre à la campagne où Mahito continue de lutter contre son chagrin. Guidé par un héron étrange, il découvre une tour en ruine près de la maison où un autre monde l'attend…
Critique :
De l'autre côté du deuil : Mahito dans un monde miroir
L'ouverture du film ne fait aucun doute : Miyakazi décide de placer ce métrage dans la droite lignée de son précédent, l'incendie de cet hôpital renvoyant indirectement aux ravages du grand séisme de 1923 et aux feux ravageant Tokyo. Porteur de mort, celui-ci emporte la mère dans les flammes, Mahito en étant le témoin impuissant le temps d'une scène poignante et infernale entre réalité crue et onirisme tristement endiablé. Rien ne sera plus jamais comme avant pour le fils quittant ainsi à jamais l'innocence de l'enfance.
Pas étonnant de le retrouver plus tard assez inexpressif et déjà trop sérieux dans un autre environnement où son père part refaire sa vie avec une nouvelle compagne déjà enceinte, triste écho de sa vie d'avant pour Mahito car celle-ci n'est nul autre que la jeune soeur très ressemblante de sa mère défunte. Rien ne semble pour autant pouvoir rendre Mahito plus réactif, le jeune adolescent devenant peu à peu le reflet d'un père travaillant pour l'effort de guerre, dans une modernité déjà avancée pour son époque qu'il exhibe fièrement, faisant de cette famille de nantis vivant dans un petit manoir aux vieilles servantes dévouées (très Miyazakiennes dans leur "chara design") une intrusion de ce Japon qui s'industrialise (et s'américanise déjà, voiture et tabac à l'appui) dans une campagne aux traditions bien ancrées. Comme on y revient souvent, chez Miyazaki (et chez d'autres artistes de l'animation japonaise ou encore dans le cinéma de Yasujirō Ozu qui est dans cette première partie cité plus d'une fois)…
Rencontre et passage entre rêve et réalité…
Mahito se laisse faire et vivre sans grande ambition, mais très vite un acte rebelle nait en lui : un coup sur la tête volontaire comme pour essayer de se réveiller d'un long cauchemar, ouvrant ainsi une première porte qui ne sera pas la dernière. La première étape pour un premier passage qui en appelle vite un autre, guidé par un héron gris facétieux à qui il déclare dans un premier temps la guerre de sa rage intérieure avant de se laisser emporter. Ainsi le garçon décide enfin d'accepter paisiblement un ailleurs, d'y vivre autre chose dans un monde miroir façon Alice au pays des Merveilles (Lewis Carroll, 1865), façon Le Voyage de Chihiro (2001) que Miyazaki convoque presque comme une évidence. C'est là que notre animateur japonais préféré se libère et décide de dérouler son aventure dans une féérie sombre dont il a le secret, reliant ainsi le fantastique aux affres du monde réel (à l'image des warawaras, esprits étant appelés à devenir humains mais déjà en danger avant même de véritablement exister), quitte à en perdre plus d'un au passage… Car l'essentiel est au final bien ailleurs.
Embrasser le rêve et le souvenir… avant de vivre !
Evolution, succession et émancipation : Il faut tenter de vivre !
Lâcher la bride. C'est ce que Miyazaki appelle son spectateur, désormais conscient de son univers, à faire : à l'image de Mahito qui malgré ce rêve éveillé ou cette nouvelle réalité éthérée ne se questionne pas plus que cela sur ce qu'il vit aux côtés de ces pélicans ou perruches à la cruauté très humaine et accompagné tantôt d'une des domestiques âgées devenue jeune navigatrice entreprenante (sorte de Dame Eboshi, cf. Princesse Mononoké (1997), des océans) ou d'une mystérieuse (qui ne l'est en vérité aucunement à nos yeux) fille du feu. Le message de Miyazaki est clair : au-delà de la compréhension, d'une sorte de logique qui de toute façon n'a pas de mise dans cet ailleurs, Le Garçon et le Héron est avant tout un rite de passage basé sur l'expérience et la découverte de soi.
Nous sommes ainsi transportés dans un endroit hors du temps qui décline toutes les obsessions thématico-artistiques du grand Hayao. Des décors majestueux et architecturaux inspirés, des lieux à la fois magnifiques et menaçants façon tableaux L'Île des morts d'Arnold Böcklin (1880-1886) et aux accents Le Château dans le Ciel (1986), avec ce bestiaire oscillant entre le grotesque et l'inquiétant qui raccorde à certains univers déjà connus… Rappelons à toute fin utile que parmi les œuvres ayant marqué Miyazaki figurent le roman La Ferme des animaux (George Orwell, 1945) ou encore le film Le Roi et l'Oiseau (Paul Grimault, 1980), rien de très étonnant donc, certains passages très politiques renvoyant même à la réalité de l'époque (Le Roi Perruche et son armée comme un écho à certaines dictatures européennes à l'origine de ce climat de guerre mondiale). Devons nous pour autant tout comprendre ? Non, c'est avant tout à chacune et à chacun d'y trouver sa place.
Car le message principal du film réside en l'évolution et l'émancipation du jeune Mahito durant cette quête épique qu'il entreprend : pour sauver le passé avant d'enfin embrasser un véritable avenir en faisant un véritable choix. Et vous, comment vivrez vous ? étant le titre du roman de Genzaburō Yoshino ayant servi de base à l'histoire : Hayao Miyazaki s'approprie autant cet intitulé que l'œuvre principale (sortie en 1937 en donc avant les événements du film) pour en faire son œuvre somme, se mettant d'ailleurs lui-même en scène pour établir une sorte de bilan et offrir une possibilité d'avenir à celles et ceux qui voudraient entretenir son héritage. Pour au final y laisser surtout une forme d'avertissement, d'appeler à la liberté de vivre ("Le vent se lève… il faut tenter de vivre !", Paul Valéry… 10 ans après, Miyazaki y revient encore !) dans un monde à l'équilibre toujours plus précaire, d'autant plus aujourd'hui qu'à l'époque de la diégèse du film.
Ecouter sa souffrance, surmonter son traumatisme, et avancer…
Le Garçon et le Héron pourrait très être vu comme le chant du cygne d'Hayao Miyazaki mais il n'en sera pas ainsi, le maître ayant déjà prévu un autre projet. Il peut cependant être vu comme la synthèse de son univers fantastique et un appel à voler de ses propres ailes dans sa propre existence réelle. Vivre avec et au-delà de ses rêves, embrasser un nouvel avenir fort d'expériences et au-delà des traumatismes, à l'image de son jeune héros mais aussi de son pays meurtri qu'est le Japon. Parfois hermétique sur plus d'un point et pouvant résister à plus d'un spectateur, voici avant tout un film à expérimenter, à réfléchir et à revoir à travers le prisme de notre propre monde et de son évolution.
La note du rédacteur : 4/5
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