Réalisation : Aki Kaurismäki
Scénario : Aki Kaurismäki
Acteurs Principaux : Alma Pöysti et Jussi Vatanen
Sortie : 20 septembre 2023
Durée : 1 h 20
Genre : Comédie Romantique
Sociétés de productions : Sputnik, Oy Bufo Ab et Pandora Film
Société de distribution : Diaphana distribution
Introduction :
Le cinéaste finlandais Aki Kaurismäki signe son grand retour 7 ans après L'Autre Côté de l'espoir (2017) et un passage par le Festival de Cannes où il s'est vu décerner le Prix du Jury. Le cinéaste nous propose un geste de foi envers le lien amoureux qui unit deux personnes sous fond de difficultés sociales.
Synopsis :
Ansa (Alma Pöysti) et Holappa (Jussi Vatanen) vivent à Helsinki, tous deux sont des personnes qui tentent de raccrocher les wagons dans leur vie respective. Un jour lors d'une soirée karaoké, ils font connaissance et vont devoir affronter les difficultés que l'existence peut mettre sur le chemin d'une relation amoureuse.
Critique :
Deux vies dans l'outre-tombe
C'est dans un fond noir, qu'un son pouvant résonner comme une connotation avec une vie oscillante (un moniteur de signe vitaux) qui ouvre le long-métrage, suivi d'un tapis roulant avec un tas d'articles uniformes (dévoilant l'origine du bruit), puis le geste répétitif de la vie d'une caissière. C'est avec trois plans fixes que le personnage de Ansa est caractérisée par la monotonie de son quotidien. Une idée en provenance de ce que Robert Bresson avançait dans son essai Note sur le cinématographe (1975) : "Montage. Passage d'images mortes à des images vivantes. Tout refleurit.", Kaurismäki établit comme son homologue cinéaste que le réel seul n'a aucune force cinématographique mais c'est dans sa reproduction qu'il trouve un écho dans la nature qu'il peut dissimuler.
Ce parti-pris, le film en tire toute sa candeur dans la représentation des deux vies qu'il expose en parallèle, qu'il s'agisse de Ansa ou Holappa, des personnages en osmose avec tout un pan de la filmographie du cinéaste : le quotidien des petites mains se retrouvant assommées par le poids de la précarité. Ansa réside dans un appartement où on peut simplement déceler les premières nécessités en matière de meubles (frigo, lit, table, micro-onde, …), quant à Holappa il vit dans un wagon aménagé en collocation avec un collègue de travail. Une fiche de personnage qui sonne assez morose sur le monde que Kaurismäki nous explicite mais il n'en fait pourtant pas une fatalité car c'est autour d'un vendredi soir lors d'une soirée karaoké que le premier regard entre les deux âmes en perdition sera l'épicentre de l'intrigue amoureuse. Des bulles de douceur qui vont se creuser pour créer les différents pics émotionnels, ce qui permet au film de ne pas être un simple manifeste politique sur un monde qui bascule de jour en jour.
"Dans la nuit froide de l'oubli. Tu vois, je n'ai pas oublié.
La chanson que tu me chantais." (Les feuilles mortes, Yves Montand, 1949)
L'atout du regard est ici très important, Bresson est encore invoqué dans le rapprochement entre Ansa et Holappa. Ici le jeu d'acteur n'est pas expressif car c'est la mise en scène qui dicte les émotions qui se mettent en place. Quand les tables sont éloignées, le premier regard est lancé puis tout de suite la fuite de l'autre, une ligne que les deux personnages n'ont jamais parcourue. Après une séquence de karaoké sous un humour pince sans rire caractéristique du cinéaste crée le rapprochement comique précipite les autres coups d'œil que les deux personnages vedettes vont se glisser à tour de rôle. Le bar joue donc aussi le rôle de bulle, loin des problèmes que dresse le quotidien et ce n'est pas le seul, notamment un peu plus loin dans le récit, Ansa et Holappa vont voir un film, The Dead Don't Die (2019) réalisé par Jim Jarmusch, dont l'élément central sont les morts-vivants. Un métrage jouant aussi sur la dichotomie de ton qui sera le sujet d'une petite discussion entre deux figurants, l'un pointera notamment un aspect Bressonien, un pied de nez comique avec le propre dispositif mis en place par Kaurismäki, car ses personnages sont deux personnes zombifiées par le quotidien et dont ce petit moment de rapprochement va être le commencement d'un parcours de renaissance pour Holappa.
La renaissance, tel est le cycle de la vie
Le réalisateur va continuer à jouer habillement avec le dispositif de vie parallèle qu'il a mis en place avec notamment la vie de Ansa mais aussi de Holappa qui a un long combat à livrer avec son alcoolisme qui est très simplement exposé lors d'un dialogue avec son colocataire : "Pourquoi tu bois ? Je bois car je suis triste". L'écho entre les deux personnages ne s'arrête pas là, car à tour de rôle le licenciement va se poser comme une véritable épée de Damoclès, Ansa est virée pour avoir pris de la nourriture périmée. Un symbole fort de l'existence mortuaire du personnage, et en trouvant un autre travail dans la plonge, elle sera licenciée malgré elle lorsqu’un élément inattendu s'abat sur son patron (un dealeur de drogue). Pour Holappa, c'est son penchant pour la boisson qui fera basculer la balance vers son renvoi, comme pour son équivalent féminin, c'est une découverte inattendue qui va découdre de cette situation et la même chose se produira pour le deuxième travail. Une différence tout de même s'écrit : Ansa ne confronte pas le duel avec des démons contrairement à Holappa qui lui va devoir arpenter le sentier du trépas. Une idée qui est déposée en sous-marin quand Ansa recroise Holappa effondré dû à son état alcoolisé sous un abribus (le film expose de multiples allers-retours dans le tramway pour Ansa), un lieu symbolique du quotidien où le simple toucher d'un être humain bouleverse le cercle habituel du personnage.
"C'est une chanson qui nous ressemble. Toi tu m'aimais, et je t'aimais"
(Les feuilles mortes, Yves Montand, 1949)
Ainsi s'opère un basculement de la comédie romantique où le discours se dévoile plus morose et dont le réalisateur va faire résonner avec un discours plus moderne, l'acte d'amour, c'est un lien de paix avec soit même pour pouvoir vivre heureux avec la personne que l'on aime. Lors d'une scène de dîner en amoureux, Holappa s'éclipse pour revenir dans les griffes de ses démons et Ansa effectue le pas en arrière pour éjecter le personnage de sa vie. Le cliché qui consiste à faire en sorte que les deux personnages se séparent sur un supposé malentendu est utilisé comme un moment funéraire qui permettrait le retour du monde des morts. Un sentier semé d'embuches, le protagoniste se fera virer une deuxième fois et le poids de la perte de Ansa va se ressentir ainsi la lumière au bout du tunnel trouve une magnifique résolution dans la bulle où l'histoire amoureuse a débuté. Lors d’un moment musical où après avoir réussi l'acte de séparation avec un verre d'alcool, le personnage sort et regarde à travers la vitre du bar le karaoké qui se joue comme un signe d'abandon avec son passé, l'ancienne vie pour aller vers la renaissance dont la conclusion se fera par un ultime écho à Robert Bresson (la volonté de conclure intelligemment la boucle) dans l'idée que "la mort est un passage". Lorsque Holappa rejoint l'élue de son cœur, il subit un accident qui n'est pas montré mais simplement sous-entendu par un son lourd de locomotive (un écho avec le passé qui s'interpose) et Ansa qui elle regarde à travers sa vitre et dont la pluie symbolise les larmes d'un énième faux départ pour le début d'une relation.
"Les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Les souvenirs et les regrets aussi"
(Les feuilles mortes, Yves Montand, 1949)
Il va s'ensuivre, le chemin de la renaissance du protagoniste masculin qui sera accompagné par Ansa, un acte de foi envers l'amour qui est le remède aux maux du monde. Tel une Charlie Chaplin version féminine, c'est elle qui s'occupera du protagoniste handicapé, un lien cinématographique est dressé avec Les Lumières de la ville (1931), elle sera chaperonnée d'un compagnon de voyage canin (qu'elle nommera Chaplin) vers la guérison de Holappa. La conclusion du film sonne comme un écho au titre du film car dans ce long plan fixe, Holappa et Ansa parcourent un parc rempli de feuilles mortes pour aller vers un nouveau cycle comme les arbres en fond de décor dont la verdure des feuilles qui finissent par renaitre.
Conclusion :
Les Feuilles mortes est un sublime voyage dans deux vies mises en parallèle sur la voie mortuaire et cherchant par tous les moyens de trouver le chemin de l'amour. Le tout dans un "Show Don't Tell" où Aki Kaurismäki conte la vie tragi-comique de ses personnages. Un cocon filmique dont l'intelligence est dans l'écho avec la réalité morose, se trace un acte de foi envers les liens humains.
La note du rédacteur : 4,5/5
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