[CRITIQUE] Oh, Canada : Mise à mort du cinéaste sacré
- Adam Herczalowski
- 17 déc. 2024
- 4 min de lecture

Réalisation : Paul Schrader
Scénario : Paul Schrader, d'après le roman Oh, Canada de Russell Banks
Photographie : Andrew Wonder
Montage : Benjamin Rodriguez Jr
Musique : PHOSPHORESCENT
Acteurs Principaux : Richard Gere, Jacob Elordi et Uma Thurman
Sortie : 18 décembre 2024
Durée : 1h35
Genre : Drame
Société de production : Forgeons Film PSC
Société de distribution : ARP Sélection
Présenté en compétition officielle lors de la 77ème édition du Festival de Cannes, ce nouveau long-métrage de Paul Schrader est sous le signe de plusieurs retrouvailles. Celle du cinéaste avec le festival depuis la présentation de Mishima en 1985, avec un Richard Gere éloigné de sa sexualisation dans American Gigolo (1980). Puis la langue aride de Russell Banks et le cinéma morbide de Paul Schrader avaient déjà fait des miracles en 1997 avec l’adaptation d’Affliction. Oh, Canada est le dernier roman publier du vivant de Banks en 2022 (décédé en 2023) et Schrader intrigué et proche de l'écrivain américain s'est empressé de l'adapter après la conclusion de sa trilogie sur la rédemption avec le sublime long-métrage bressonien Master Gardener (2023). Le résultat de ces retrouvailles est un récit sur la véracité qui se révèle quand on se retrouve sur son lit de mort ou dans le cas présent de cinéma.

Old American Gigolo
Synopsis :
"Un célèbre documentariste canadien accorde une ultime interview à l’un de ses anciens élèves, pour dire enfin toute la vérité sur ce qu’a été sa vie. Une confession filmée sous les yeux de sa dernière épouse…"
Critique :
La Chambre des confessions
Une assimilation à une quelconque démarche testamentaire est évidemment de mise pour ce nouveau long-métrage de Paul Schrader. Un cinéaste (documentariste pour le personnage de Fife) témoignant sur sa vie d'artiste engagé et sa démarche cinématographique, où l'interlocuteur concerné retourne la situation pour dresser le paradoxe qu'était son existence, comme une autopsie des contours de sa vie et ses méfaits. Dès l'introduction, la mise en place du tournage est sujet à une installation médicale, des lumières en passant par la mise en marche des caméras et l'arrivée de Leonard Fife (Richard Gere) en fauteuil roulant. Le comédien élu en 1999 par le magazine People : "homme vivant le plus sexy" ou encore sex-symbol dans American Gigolo également de Paul Schrader, ici il n'est plus qu'un être humain affaibli par le temps et les regrets. Un corps âgé se retrouvant face caméra à délibérer "pour la postérité". Un geste schraderien de narration en voix-off sur un sentiment purement banksien d'une détestation de soi, une quête de confidences ou d'actions détestables (mariage à 22 ans, abandon de sa femme et future enfant, rencontres et aventures extraconjugales). Les personnages chez Paul Schrader sont régulièrement confinés dans des espaces clos : des chambres dans Master Gardener, Mishima et The Card Counter ou le taxi dans Taxi Driver, ce sont des lieux où les anti-héros schraderien déambulent, écrivent, énoncent leurs amertumes sur le monde, sur eux-mêmes et les crimes qu'ils ont commis (ancien néo-nazi, torture à Guantánamo) ou s'apprêtent à commettre (meurtres). Ce sont des théâtres, des chambres noires (référence au livre de Jérôme d’Estais, publiée en 2023), où ses personnages déploient leurs enjeux et tourments avant un passage à un trépas littéral ou symbolique (christique).

Confidences artistiques et sentimentales
Oh, Canada ne dresse pas une énième quête d'abandon de la violence comme à l'accoutumé chez Paul Schrader, mais celle d'une lucidité qui, aux portes de la mort, dévoile ses mensonges dissimulés et son amour à l'être aimée. Un menteur et un lâche, c'est par ces termes que Fife se qualifie en tant qu'être humain, se réfugiant sous son masque de documentariste politique respecté alors qu'il s'est enfui au Canada pour échapper à la guerre au Vietnam. Le personnage a abandonné les femmes avec qui il a noué des relations ou liaison, que l'on découvre dans des divers aléas temporels où Jacob Elordi (également sex-symbol dans la série Euphoria) endosse le rôle du jeune Leonard Fife. Des retours dans le temps, génialement confus dans un montage alternant les phases du tournage et des divers événements dévoilés. Au-delà d'être respectueux de la structure du roman de Banks sur l'alternance désordonnée des événements, ce sont des fragments de vie où la question de la mémoire influe sur les divers raisonnements. Les personnages, notamment Emma, avec sa tristesse retenue (bouleversante Uma Thurman), écoutent les diverses confidences. Ce qui aurait dû être un hommage à un artiste se transforme en mise à mort sur un écran de cinéma de son propre être. Une mort de la personne et de son héritage factice à ses yeux, détruisant ses bâtisses artistiques, jusqu'à disparaître du long-métrage en dehors d'un montage de films réalisés par Fife en fin de long-métrage. Si cette quête de rédemption est surtout une confidence envers l'être aimé, rétablir une vérité personnelle, régulièrement Fife demande où se trouve Emma, elle le regarde face à un écran servant de confidence. La mémoire du documentariste se défile par la maladie ou par honte, d'une mort approchant pas à pas, la confidence se transforme en une énième fiction de l'existence, celle d'un martyr d'une vérité propre.

Cinéaste factice
La note du rédacteur : 5/5
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