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Photo du rédacteurAdam Herczalowski

[INTERVIEW] Festival International du Film d'Amiens - Marie-France Aubert : Comment aborder une deuxième édition



Du 10 au 18 novembre 2023, s'était déroulé la 43ème édition du Festival International du Film d'Amiens et il s'agit de la deuxième sous la houlette de Marie-France Aubert qui a apporté avec la précédente édition un nouveau souffle au festival, voulant casser les frontières (documentaire fiction, cinéma et autres). Elle avait chaleureusement accepté de répondre à nos questions sur comment aborder artistiquement une deuxième édition d'un festival.


Adam Herczalowski : 


C'est votre deuxième édition en tant que directrice après une première qui fut couronnée de succès (nouvelle approche du festival,...), comment l'avez-vous appréhendé ? 


Marie-France Aubert : 


La première est toujours terrifiante et finalement les gens ont été très bienveillants et ont répondu présent au rendez-vous. C'était un moment très joyeux aussi, de partage avec les invités et le public l'année dernière. Évidemment que la deuxième était moins terrifiante parce que j'avais déjà vécu ça une fois et que je connaissais bien l'équipe avec qui on travaille vraiment en harmonie et qu'on se soutient tous et toutes. En même temps, j'étais aussi très stressé parce que parfois on se dit que la première était intéressante parce qu'il y avait de la nouveauté ? Est-ce que finalement la deuxième sera moins intéressante ? J'avais peur de ça, après il y avait un vrai soutien de la part des amiénois/amiénoises et du public l'année dernière qui était là et j'espérais qu'ils aient toujours envie. 


A H


Dans la continuité avec la précédente édition, il y a une volonté d'inscrire le documentaire comme une priorité mais aussi par rapport aux films présentés dans cette édition se trouve une frontière qui se dessine entre la fiction et le documentaire notamment avec la thématique des disparu.es d'Amérique Latine. Est-ce qu'il y a une volonté pour vous de continuer à explorer les possibilités du documentaire ?  


M-F A


C'est un champ qui me fascine beaucoup et effectivement ce qui m'intéresse dans ce champ là, c'est d'éclater les frontières et de créer de la porosité et de la faire advenir qui pour moi existe. C'est un peu banal de dire ça mais il y a beaucoup de films de fiction qui captent du réel et qui s'en nourrissent pour un geste documentaire. Pour la compétition, on a gardé ce mélange entre le documentaire et la fiction. On a découvert beaucoup de films qui exploraient ça comme par exemple O Estranho ou El Castillo. Des films où les frontières n'existent plus vraiment ou en tout cas il y a des aller- retours entre ces champs là, des enchevêtrement et ça crée des objets tellement singuliers et passionnants, que ce soit au niveau de la forme qu'au niveau du discours politique. Effectivement dans la section des disparu.es d'Amérique Latine, il y a beaucoup de documentaires, on a mis un film de fiction et une avant première (La Fleur de Buriti) qui est à la frontière avec le documentaire. C'est vrai que ça nous intéresse dans le témoignage d'une actualité et de la vivacité des documentaires aujourd'hui et en même temps ce sont des choses qui sont déjà creusées depuis plusieurs années par des documentaristes. Ce qui était beau dans les disparu.es d'Amérique Latine, c'est de voir ce côté pluriel du documentaire avec pleins de matériaux différents utilisés, pleins de manières de monter, pleins de manières de les mettre en scène aussi. C'était ça qui nous plaisait. 


O Estranho de Juruna Mallon et Flora Dias


A H : 


Davy Chou est la grande tête d'affiche de cette édition, un cinéaste mais aussi producteur, c'était pour vous une évidence qu'il soit l'invité d'honneur ?  


M-F A : 


C'est un cinéaste qu'on admire beaucoup et ça fait quelque temps qu'on en avait parlé avec Alexandre Levaray qui collabore avec moi à la programmation, c'est lui qui a eu cette idée d'inviter Davy Chou. Je savais qu'il était producteur mais je ne connaissais pas du tout son travail autant qu' Alexandre le connaissait et quand il m'a dit qu'il avait envie de faire ça j'ai trouvé ça vraiment génial. J'ai suivi cette impulsion d'Alexandre parce que je l'admire beaucoup en tant que cinéaste et la programmation (Anti-Archive) a été conçue par Alexandre. Davy Chou fait lui aussi beaucoup d'aller-retour entre documentaire et fiction et joue avec les codes et surtout ce qui nous intéressaient notamment en créant la table ronde "Des cinéastes producteurs", c'est qu'il y avait quelque chose de très militant et politique de ce geste d'être cinéaste qui se fait producteur notamment de quel manière ? En permettant à des personnes de bouger de postes au fil des tournages et aussi de permettre à des femmes qui n'avaient pas l'audace de dire qu'elles avaient envie de faire un film et de leur permettre cette possibilité de prendre la casquette de réalisatrice. Politique aussi dans l'économie que ça instauré et que lui aussi soit aller vivre au Cambodge pour donner un élan à une jeunesse cambodgienne et au cinéma locale, en tout cas ça rejoignait les pensées qu'on admire.        



A H :


La thématique principale de cette édition qui est la vache, qui est sur le papier assez étrange recèle pourtant des questions politiques et sociales et s'inscrit dans une continuité du festival. Comment est-ce que le thème a été réfléchi ? 


M-F A : 


C'est vrai qu'on essaye aussi par notre engagement, par les films qu'on montrent, les invités mais aussi les discussions qui peuvent advenir grâce aux invités, au public aussi et être dans une continuité qui est lié à l'histoire du festival. Alors la vache, effectivement c'est un sujet surprenant mais qui est aussi politique et esthétique de cinéma.  


A H : 


On peut citer en exemple La Vache (1969) de Dariush Mehrjui qui est un film traitant la vache comme une thématique à la fois social mais aussi politique et profondément humain et sont aussi dans une thématique de la frontière entre fiction et documentaire, une sorte de double thématique se dessine dans cette édition. 


La Vache (1969) de Dariush Mehrjui


M-F A : 


Au départ, je devais faire une thèse sur la vache au cinéma, c'est lié à un travail de mémoire qui a donné cette impulsion, il y a plusieurs choses qui traversent cette programmation. Elle est partie d'un film de Stéphane Breton, Un été silencieux (2006) avec des bergers en Sibérie et à un moment donné une des vaches se retrouve couchée et elle est en train de mourir et les bergers essayent de la relever. Stéphane Breton a souvent impliqué sa subjectivité et son côté personnel dans ses films pour essayer aussi de parer une distance entre filmer et filmer. J'ai comparé avec le film de Depardon qu'on a programmé (La Vie moderne, 2008), il y a aussi cette figure de la vache couchée avec le paysan qui se met à pleurer. C'est comme si, quand une vache meurt, tout d'un coup dans le documentaire on atteint la subjectivité du filmer. Comme je parlais d'intimité dans mon travail, je me rappelais un souvenir de mon père qui faillit être éleveur dans Les Pyrénées et qui a fait des études d'agriculture. Il y a quelques années, un de ses amis qui a des vaches, lui a demandé de l’aider parce que ses vaches étaient coincées dans la montagne. Ils ont loué un hélicoptère et mon père les a aidés à nourrir les vaches et son ami s’est effondré en larmes dans ses bras en disant : “J’ai cru que j’allais perdre mes vaches” et il m’a dit qu’il l’a jamais vu pleurer.


En fait, j’ai remarqué en faisant pleins de recherches pendant quelques années que dans la fiction comme le documentaire, il y a vraiment ce rapport avec la mort de la vache qui a la fois quand elle est pas dans les abattoirs, ce qui est complétement paradoxale, est terrible et au touche au sacré quand la mort d’une vache advient en dehors de l'abattoir. Il y a souvent la vache, du coup, sa mort et la vache en général qui est une sorte d’objet réceptacle, miroir de l’humain qui soit soit va annoncer la mort de l’humain, soit va être une projection de ses folies, ses angoisses. Par exemple, dans Dark Waters, sa mort annonce celle des humains et dévoile toute la corruption humaine. En même temps , il y a des cinéastes qui ont voulu décentrer l’humain, ce qui est un geste très politique et mettre la vache au centre et tout d’un coup, elles deviennent complètement le sujet et forcément le langage se retrouve complètement bouleversé parce qu’on va filmer à leur hauteur, le regard change en fait, on capte aussi leur regard, c’est pour ca qu’il y avait cette idée de vache-caméra.  


La Vie moderne de Raymond Depardon


A H : 


Dans le Festival d'Amiens, il y a une grande volonté de donner une place aux premiers films de cinéastes et d'offrir une exposition aux films qui créeront le cinéma de demain. 


M-F A : 


Oui complètement, avec les sections on veut aussi montrer des premiers films, des films du  patrimoine de l'histoire du cinéma, des œuvres cultes comme les films les plus rares. Je suis allé voir la petite vidéo, réalisée par les faquins pour fêtons court et on est fier de montrer des films autoproduits, des gestes comme ça un peu buissonnier de jeunes cinéastes du coin, c'est important. Dans la compétition, on montre les premier, second et troisième film pour témoigner du travail d'une jeunesse de part le monde. Par exemple, on a montré Gorge coeur ventre et avant on a montré le film d’Emilia Poirlet, Immuable détenteur qui était une étudiante l'année dernière au cinéma à Amiens. C'est aussi important de donner de la place à des films très singuliers, à des films qu'on admire beaucoup, qui délivre une pensée de cinéma et politique qui nous intéresse et de leur donner aussi un éclairage, c'est aussi le rôle d'un festival de cinéma.


A H : 


Dans un axe prononcé vers la communication, voulez-vous comme les premiers films de cinéastes, d'attirer au sein du festival d'Amiens les cinéphiles de demain ? 


M-F A : 


C'est vrai, c'est important le mélange des générations dans les salles et de voir qu'il y a des personnes de toutes âges qui vont voir les mêmes films. Effectivement, c'est vrai qu'il y a beaucoup de jeunes et ça c'est super, ça donne de l'espoir parce qu'on dit souvent qu'ils ne vont plus en salle et qu'ils ne s'intéressent pas au cinéma. Moi, je pense qu'ils s'intéressent au cinéma mais qu'ils les regardent d'une autre manière et c'est important de le prendre en compte. On est assez content de voir l'enthousiasme soit partager par ces jeunes là, qu'ils aient envie de se déplacer, je pense que c'est dû aussi au côté rencontre et accessibilité des invités. On a de la chance d'avoir également des invités humble et généreux avec le public, mais aussi avec les afters qu'on organisent tous les soirs dans les différents bars, il y a cette possibilité de mélanger et que les personnes osent parler à tout le monde, ça permet aussi à des jeunes, soit qui ont envie ou non de faire du cinéma mais de se dire qu'ils ont le droit et la possibilité de rencontrer des professionnels. On essaye aussi de créer du lien avec les partenariats, parce qu'il y a beaucoup de structures culturelles à Amiens. J'adore cette ville et je vois a quelle point elle vie culturellement et tout ce qu'elle propose de riche et du coup c'est très stimulant de travailler avec tout le monde, on s'inspire beaucoup et le cinéma se lie avec beaucoup d'arts différents et donc c'est donc c'est bien aussi de convoqué pleins d'arts différents pour nourrir un regard sur les films et aussi pour créer du lien en dehors des salles, pour inviter des personnes et des artistes qui viennent d'ailleurs et forcément ça mélange les publics.


A H : 


Il y a une pluralité artistique du festival qui est visible entre musique, exposition,... Il y a une ouverture des possibilités et une volonté de briser les codes d'un festival de cinéma. 


M-F A : 


Bien sûr, le cinéma c'est une question de picturalité, le son c'est aussi incontournable dans beaucoup de films. Les cinéastes s'inspirent de tellement de choses et je pense que c'est intéressant de croiser tout ça. Le thème de la vache aussi le permet parce qu'elle traverse tous les arts et donc de créer du rebond et des liens.  


Le festival international du film d'Amiens continue sa lancée dans la manière de briser les frontières et d'attirer du public. La 44ème édition du FIFAM se tiendra du 15 au 23 novembre. Nous remercions chaleureusement Marie-France Aubert pour cet entretien et sa gentillesse.


Entretien réalisé le 16 novembre 2023 par Adam Herczalowski


Site du Festival international du film d'Amiens :


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