Réalisation : David Fincher
Scénario : James Vanderbilt, d'après les livres Zodiac et Zodiac Unmasked de Robert Graysmith
Acteurs Principaux : Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo et Robert Downey Jr.
Sortie : 17 mai 2007 (France)
Durée : 2 h 37 (cinéma), 2 h 42 (director's cut)
Genre : Thriller, policier
Sociétés de productions : Paramount Pictures, Warner Bros et Phoenix Pictures
Société de distribution : Warner Bros (France)
De ses débuts compliqués avec Alien 3 (1991) à la reconnaissance avec Seven (1995) puis des hauts et des bas au niveau de ses liens avec les studios hollywoodiens. David Fincher a affronté vents et marées pour toucher du doigt le statut d'auteur acclamé autant par la critique que les spectateurs. L'ancien clippeur pour la boite de production Propaganda Films a vu émergé d'autres cinéastes ayant marqué les années 1990 et 2000 du géant Hollywood (Michael Bay, Antoine Fuqua, Spike Jonze,... ). Comme ses compères de la publicité, Fincher a bouleversé le cinéma américain par la construction minutieuse de ses plans et le maniérisme dans son portrait de la "génération X" (nom donné aux personnes nées entre 1965 et 1980, le terme est tiré du roman éponyme phare des années 90 de Douglas Coupland publié en 1991). Un sujet important d'un pays dont la dernière décennie avant le passage au 21eme siècle fut tourmentée par le conflit d'une jeunesse perdue dans le chaos de "sa résidence".
Synopsis :
Zodiac, l'insaisissable tueur en série qui sévit à la fin des années 60 et répandit la terreur dans la région de San Francisco. Il semait les indices avec des messages cryptés qu'il laissait volontairement aux enquêteurs. Il s'attribua une trentaine d'assassinats. Robert Graysmith, jeune dessinateur de presse, n'avait ni l'expérience ni les relations de Paul Avery, spécialiste des affaires criminelles au San Francisco Chronicle. Le Zodiac n'en deviendrait pas moins l'affaire de sa vie, à laquelle il consacrerait dix ans d'efforts.
Analyse :
Au revoir le grunge, bonjour l'épure !
Comme le pays dont il fera l'autopsie de son passé des seventies à travers Zodiac, le cinéaste de Seven (1995) et The Game (1997) opère une mutation de son cinéma puisque les années 2000 fut le théâtre des expérimentations du numérique. Du discutable Vidocq (2001) du frenchie Pitof en passant par les matières physiques sous le choc des balles dans Miami Vice (2006) et du New York en terrain de pistage servant de lieu d'intrigue au Collatéral (2004) de Michael Mann. L'expérimentation du numérique avait commencé à tracer sa route et dans l'équation intervient Fincher qui avait déjà pu donner un avant-goût de l'expérience numérique (effets spéciaux) dans des séquences virtuoses comme la séquence de l'infraction du foyer familiale dans Panic Room (2002) ou encore la séquence de la bombe dans le camion de Fight Club (1999).
Le poisson dans le bocal numérique (Panic Room, 2002)
En prenant le chemin de mettre en image l'enquête du dessinateur de presse Robert Graysmith (Jake Gyllenhaal) au sein d'une Amérique à l'aube de la fin du "Flower Power", Fincher opère lui aussi la conclusion de son cinéma grunge des nineties. Dès la toute première séquence se déroulant a la date du 4 juillet 1969, sous des feux d'artifices et un travelling cartographique de la municipalité de Vallejo. Zodiac pose dès ses premières secondes l'ancrage du cinéma de Fincher sous la caméra Viper Thomson, la mutation est opérée vers l'épuration stylistique et dévoile avant l'apparition d'une quelconque enquête l'obsession de la documentation des années 70. L'éjection du grunge pour épouser la radiographie et documentation du Nouvel Hollywood tel Francis Ford Coppola avec Conversation secrète (1974) ou Alan J. Pakula avec Les Hommes du président (1976) : une déambulation dans l'Amérique changeante. Un artifice dans la séquence est toute même visible par ce travelling trop parfait ou la séquence générique où le plan vertical au dessus de l'océan avec la précision maladive de son cinéaste. Le trucage est au service de la transformation d'un pays vers la paranoïa. Le travelling lors du pré-générique faisant le transfert vers la première apparition dans l'ombre du Zodiac, la fin des sixties américaines. Fincher amène ainsi la cartographie de cette métamorphose sur une nouvelle technologie cinématographie plus précise, tel le point central de son récit : la documentation et la recherche du tueur du zodiaque.
Un travelling témoin de la mutation d'un pays
L'épuration continue lors du premier meurtre du tueur, sobre et précise. Fincher fuit la mise en scène tape à l'œil en filmant en plusieurs plans fixes d'une grande beauté plastique, l'attaque de Darlenne Ferrin et Mike Mageau par le tueur dans l'ombre pour finalement se conclure dans un long plan large sous fond d'une musique phare de la fin des années 60 Hurdy Gurdy Man (1968) de Donovan. Le choix peu anodin de reprendre ce titre entre en écho avec certaines paroles de celles-ci : "Came singing songs of love" (Je suis venu chanter des histoires d'amours), écho au "Flower Power" de la fin des sixties et par l'apparition du Zodiac dans l'histoire des Etats-Unis et dans le récit du long-métrage. C'est une histoire qui appartient aux âges passées ("Histories of ages past") car les années 70 et la paranoïa envers un fantôme de l'ombre font leur apparition. L'affaire du Zodiac fut très médiatisée tel un jeu de piste. Les différentes lettres du tueur qui sont publiées dans les journaux, la scène de l'émission KGO-TV où une fausse piste concernant l'identité du tueur est sur le tapis. L'épicentre central des obsessions américaines en l'espace d'une décennie n'est plus seulement la guerre du Vietnam ou le duel idéologique avec le bloc de l'est (URSS) mais un mal invisible, un flou permanent sur les intentions et l'identité de la menace.
Le mal chez Fincher dans Zodiac : une ombre indescriptible.
Obsessions et fantômes
L'affaire entre dans une obsession implacable, sujet à interprétation et questions, qu'elles soit sur les médias d'informations ou dans le cinéma lui-même par un écho avec un film qui est créé durant cette époque obscure. Dirty Harry (1971) de Don Siegel reprenant en partie l'affaire du Zodiac qui devient pour le métrage "le Scorpion". Comme les personnages de Robert Graysmith ou encore David Toschi (Mark Ruffalo), Callahan (Clint Eastwood) dans le chef d'œuvre de Siegel, le tueur devient une obsession maladive : la traque vers un fantôme miroir de la paranoïa et la violence dans l'Amérique des seventies. L'enquête sur les différents meurtres du tueur du zodiaque est opérée dans le film sous différents angles, d'un coté par les inspecteurs David Toschi et William Armstrong (Anthony Edwards) et de l'autre par Robert Graysmith et le journaliste du San Francisco Chronicles Paul Avery (Robert Downey Jr), tel des anti-héros de "vigilante movie" partent élucider les meurtres (comme tout personnage chez Fincher) qui vont sévir aux Etats-Unis pendant une dizaine d'années avant la disparition des radars du tueur. La quête envers un fantôme sans visage est la tournure vers la notion du mal chez David Fincher qui jusque-là fut marquée par une identité précise, de John Doe (Kevin Spacey) dans Seven en passant par Tyler Durden (Brad Pitt) dans Fight Club. Dans Zodiac, le mal est une entité sans individu (différents visages lui seront donnés sans conclusion sur sa réelle identité), illustré dans la séquence du meurtre se déroulant au bord du lac : le tueur est simplement vêtu d'habits "low-cost" tout de noir avec son signe qui est une cible. Le mal devient une image, à la fois donc réelle mais aussi de cinéma. Fincher l'explorera aussi dans The Social Network (2010) avec sa conclusion où Mark Zuckerberg (Jesse Eisenberg) regarde son ordinateur, le personnage devient Facebook, le nom d'une start-up, tel cette ombre simplement entrée dans l'histoire par son patronyme "le Zodiac".
Homme sans visage, l'ombre des seventies.
Jean-Baptiste Thoret dans sa critique pour Charlie Hebdo du chef d'œuvre de Kathryn Bigelow Zero Dark Thirty (2012) faisait le lien avec le film de Fincher par la phrase suivante : "Plus le temps passe, plus l'épouvantail Oussama perd de sa densité, comme le Zodiac du film éponyme de David Fincher". Maya (Jessica Chastain) (en charge de la traque du chef d'Al-Qaïda) comme Graysmith sont dans les griffes de l'objet de leur traque. Le Zodiac comme Ben Laden sont devenus des ombres dans l'histoire américaine, le Zodiac finira par disparaitre à l'extrême fin des années 70 et l'hystérie générale finira par s'étouffer dans l'indifférence. Ainsi Graysmith, comme Maya après l'assassinat du chef d'Al-Qaïda, sont dans les mailles d'une ombre persistante. Le dessinateur comme l'agent de la CIA persistent dans ces évènements médiatisés et obsessionnels : face à un ennemi qui ne serait pas mort pour Maya, et dans une quête sans réponse de l'identité du tueur pour Graysmith dans une séquence où il soupçonne Arthur Leigh Allen (John Carroll Lynch). L'Amérique des Seventies comme celle des années 2000 fut celle d'une traque envers des fantômes qui sont plus que de simples noms mais les éléments déclencheurs qui transformeront un pays qui "perd" une innocence.
Pris dans le filet du Zodiac !
Zodiac est la transition fascinante du cinéma de David Fincher vers la radiographie numérique. A travers son grand chef d'œuvre, le mal chez le cinéaste devient une ombre aux multiples visages qui fut le miroir d'une Amérique prise dans ses obsessions et en pleine transformation de la fin du "Flower Power" vers la paranoïa des seventies.
Comentarios